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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Souriez, vous êtes filmé...

Souriez, vous êtes filmé...

Je sais que dans les prochains jours, je me mettrai en colère. En colère lorsqu’un des lecteurs attentifs de mon quotidien local préféré m’interpellera en disant : « Mais enfin, on n’est pas au pays des Bisounours ! Sûr que je vais y avoir droit après avoir affirmé comme je m’apprête à le faire que je trouve détestable la multiplication des outils de surveillance dans l’espace public, à commencer par les caméras dans les rues de Pau et la menace de villes panoptiques (1)

Je vais me faire engueuler parce que cette position est ultra-minoritaire. Près de 80% des Français plébiscitent la surveillance généralisée. Qu’importent la destruction de la vie privée, l’anonymat, l’intimité si c’est le prix à payer pour une illusion de sécurité. Qu’importe que la distance entre moi et les autres soit réduite à zéro. C’est l’acceptation du contrôle continu de l’individu. Les caméras dans la rue qui m’observent en continu, c’est la moderne version des concierges omniscientes qui, derrière le rideau de la loge, savaient tout de la vie des habitants du quartier. Le traitement des traces laissées dans tous les usages d’Internet est un mode inédit et généralisé de surveillance. Se dessine une société nouvelle dans laquelle celui qui se refuse à être scruté deviendra ipso facto suspect.

Bien entendu, je n’ai rien contre les Bisounours – en vérité, je m’en fous -, mais je n’arrive pas à me convaincre que l’utilisation de formules stéréotypées comme « Mais on n’est pas au pays des Bisounours ! » et d’autres du même acabit est anodin. C’est du « prêt-à-penser », une paresse de l’esprit, arguments prétendument définitifs pour imposer une vision pessimiste du monde.

Vision stérile aussi. Me revient Antonio Gramsci : « Allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »

Il est vrai que le choc a été rude… Nous nous croyions aimables, nous nous découvrons détestés. Avec les carnages de Paris et de Bruxelles, ce ne sont plus les symboles qui sont visés, mais la vie, la vie ordinaire, la vie quotidienne, celle de la rue, des trottoirs, des bistrots, des terrasses, des lieux où l’on se retrouve… Cette évidence subite de notre vulnérabilité individuelle et collective laisse, bien qu’on clame le contraire, un peu de place à la peur désormais, ce sentiment d’insécurité contagieux qui s’instille partout, prélude à bien des soumissions et renoncements.

Je n’ai pas attendu longtemps… Écouté la radio ce matin... Mélange d'agacement, d'indignation et de lassitude… J’y ai eu droit à mes Bisounours, j’ai eu droit également par ce « responsable » politique à la stigmatisation de l’angélisme, mal incurable d’après lui de ceux qui croient que la vie ensemble est encore possible dans une démocratie apaisée, respectueuse et vigilante.

Frisson dans le dos… Les outils de surveillance généralisée peuvent tomber entre les mains de ceux que fascine une vision autoritaire de la gestion des affaires collectives.

La démocratie n’est pas une religion, elle ne détient pas de vérité. La démocratie ne vit que par la tension continue, la confrontation, d’opinions nécessairement contrariées pour, à la fin, que chacun admette une part de l’autre. Ce débat compétitif permet de prendre des décisions acceptables par tous, en aucun cas de faire émerger la vérité – existe-t-elle d’ailleurs ?

Cette manière de faire et d’être renforce le « vivre ensemble » mais produit périodiquement un besoin contraire. Resurgit alors le mythe du chef et le peuple cesse d’être peuple pour n’être plus que des hommes en troupes cherchant des yeux celui qui dit et qui commande.

Outre qu’il est humiliant de choisir la « servitude volontaire », il faut se souvenir que l’indocilité démocratique reste le régime le plus efficace. Il se peut qu’en décidant seul, on aille parfois plus vite, mais en décidant ensemble, on s’assure d’aller plus loin.

Parfois, je me fais reproche de réprimer en moi ce cri d’écorché vif pour qui l’injustice – même la plus ordinaire -, le mépris – même le plus quotidien -, l’inégalité – même la plus commune -, l’indifférence sont des blessures insupportables.

Mais n’est-ce pas trop tard ? La société technicienne s’est imposée. C’est un marché gigantesque. Le contrôle de tous et de chacun, la CIA en rêvait, Facebook l’a fait.

(1) Le panoptique, c’est cette architecture de l’univers carcéral dans laquelle un gardien invisible contrôle en continu des prisonniers qui l’ignorent. C’est faire de la visibilité la prison. On cesse d’enfermer pour mettre en pleine lumière. L’essentiel est de se savoir surveillé.

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