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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

...Enfance, cœur léger

Archives communautaires à l'Usine des Tramways de Pau. La responsable me remet le fonds Paul-Jean Toulet. Je m'immerge...

Un des aspects les plus singuliers de l’œuvre de Toulet se trouve dans une habitude qu’il avait prise de s’écrire à lui-même. En guise de journal intime il s’adressait des lettres et des cartes postales confiées au facteur !

 

Cette correspondance est une manière élégante d’en dire beaucoup sur lui-même, toujours avec cette légèreté de ton qui lui est propre. Voici, par exemple, ce qu’il s’écrit à l’aube de l’année 1905 :

« Paris, 12 janvier 1905

Et à vous mon cher Paul-Jean, pourquoi ne souhaiterais-je pas une bonne année ? (…)

C’est dans le passé qu’est tout notre bonheur ; et le mien me torture de sa grâce évanouie. Parfois au moment que le soleil vient enfin, on s’imagine être encore l’enfant d’autrefois, avec un cœur d’enfant parmi les fleurs.

Cela est si exquis et si cruel qu’on se réveille soudain. Et quel réveil !

Mais les fleurs de jadis étaient belles et pliantes et parfumées ; il en est qu’on revoit avec une netteté surprenante.

Ainsi à Bilhère, contre une des fenêtres de ma grand’mère, il y avait une giroflée de celles qu’on appelle je crois violier, je l’aimais beaucoup. Aujourd’hui c’est une dame, et je ne sais si elle naquit sous les étoiles, mais elle est de cette variété qu’on nomme : parisienne. Dieu vous en garde. »

Et Toulet, à ses dernières années reviendra dans sa campagne pour retrouver cette nostalgique pureté, ébranlée à Paris : « A Pau, où j’ai goûté jadis ce fuyant plaisir de vivre… Les filles y ont de la politesse et de la vassalité ; et les horizons en sont tels que l’on voit bien que le bon Dieu s’en est mêlé Soi-même, au lieu de les faire faire par ses domestiques »

Nostalgie du Béarn, nostalgie de Pau surtout qu’il évoque joliment en parlant de « cette ville où je fus si souvent embrassé ».

Il n’écrivait pas qu’à lui-même. Sa correspondance avec d’autres est considérable. Dans les archives de l’Usine des Tramways, je me suis plongé dans l’épaisse liasse des courriers et des cartes postales échangées avec son ami, Claude Debussy.

A lire directement les documents originaux, on éprouve une sensation de proximité intense que l’on ne retrouve pas dans le texte imprimé.

La différence de caractère entre les deux amis est criante : écriture fine et précise chez Toulet, ample et envahissante de Debussy. Le premier – Toulet - : esprit inquiet, exprimant avec une ironie distante ce besoin d’être aimé et sa difficulté de vivre. L’autre – Debussy -, déjà reconnu comme l’un des plus grands musiciens de son époque : direct, sûr de lui, marquant régulièrement ses distances vis-à-vis de son ami.

Debussy répond à Toulet qui lui faisait reproche d’un trop long silence à son goût : « Non, mon cher Toulet, je ne vous oublie pas et votre amitié m’est trop précieuse pour que je cesse jamais d’y croire … Excusez-moi si j’ai fait des fausse notes en essayant, très timidement, de vous comprendre. Je n’y reviendrai plus … »

Et, en terminant sa lettre, comme Claude Debussy s’inquiétait de la santé de Paul-Jean Toulet, voici ce que celui-ci lui répond : « Mon Cher ami, il paraît que je vais beaucoup mieux, si mieux que je crains de ne pouvoir résister à une santé aussi accablante, et qui du reste continue à me tenir au lit. »

Et puis, il y a, dans la liasse des archives, au milieu de toutes ces lettres et cartes postales, ce télégramme bleu que je trouve et que j’ouvre, comme s’il m’était adressé. Il est signé d’Emma, la femme de Claude Debussy. Il ne comporte que trois mots : « Claude est mort »

Deux ans plus tard, le 6 septembre 1920, Paul-Jean Toulet meurt à son tour à Guéthary, d’une hémorragie cérébrale. Il avait 53 ans. Je tiens entre les mains, le papier trouvé près de lui, et sur lequel il a écrit quelques lignes, son ultime poème.

Ce n’est pas drôle de mourir
Et d’aimer tant de choses
La nuit bleue et les matins roses
Les fruits lents à mûrir…

Et il termine par cette invocation :

… Enfance, cœur léger.

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