Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Les volontaires de la servitude

Surlendemain d’élection à la terrasse d’un restaurant populaire d’une place de Pau. La curiosité et l’indiscrétion sont des défauts que je cultive avec minutie. Quand se nouent des discussions bruyantes, j’écoute, j’observe, je note, débarrassé de toute mauvaise conscience. Mon voisin lance : « Marine, j’y crois pas, Manu c’est trop mou… C’est un pouvoir fort qu’il faut ! » Comme je m’étonne, il poursuit, approuvé par ses copains de table : « Regardez autour de nous, la Turquie, la Russie, les Etats-Unis… tous des autocrates. Et ça marche ! »

Ceci pourrait n’être qu’une conversation de bistrot, sans réelle importance. Mais il se trouve que cet appel à l’autorité d’un chef a des résonances plus larges.

Les Français font état d’un besoin d’autorité de l’Etat qui est « sans doute devenu l’un des principaux enjeux de l’élection présidentielle de 2017 », note une étude du Cevipof (1).

Au-delà des mots, il y a la réalité des chiffres contenus dans cette étude. Sur plusieurs points ils peuvent inquiéter : 75 % des Français se déclarent favorables à placer à la tête du pays « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections », 71, 3 % veulent renforcer les moyens budgétaires des armées et ceux consacrés au contrôle aux frontières.

Selon son auteur, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, « la montée en force électorale du Front national, la recherche d’un président « gaullien » au sein de la droite parlementaire comme la critique de l’impuissance publique sous la présidence de François Hollande sont les principaux signaux de cette demande d’autorité ».

Il y a aussi cette évidence que nous sommes en guerre. Et cette situation, réclame un chef de guerre. Les deux finalistes à la présidentielle ne s’y sont pas trompés. Ils ont placé, tous deux, dans des registres évidemment très différents, l’impératif de sécurité et de protection au cœur de leur discours.

Certains philosophes, adeptes des pensées punitives et moralisatrices, y voient également un effet de balancier après une longue période post-soixante-huitarde où rayonnaient les courants antiautoritaires qui se sont depuis progressivement essoufflés. Comme si nous devions expier aujourd’hui par un tour de vis autoritaire nos permissivités d’hier.

Mais d’autres causes plus profondes, plus intimes existent. La tentation de la soumission sommeille en chacun d’entre nous. Le deuil de la liberté n’est pas toujours une grande souffrance. On peut même trouver un confort rassurant à se glisser dans un ordre établi, à accepter ce qui nous contraint, à laisser anesthésier en nous les élans de révolte et d’impertinence.

La démocratie n’est pas réductible à l’exercice périodique de la désignation de représentants par l’élection. Illusion de l’isoloir. Et c’est l’un des multiples paradoxes des régimes démocratiques que de donner à ceux qui sont libres le pouvoir de choisir l’aliénation.

L’histoire nous a appris à nous méfier des chefs. Le refoulement contemporain de la figure du chef a pour lui les motifs les plus sérieux. Ces pathologies que constituèrent les régimes totalitaires du XXe siècle ont fait apparaître le « culte du chef » comme l’une des pires menaces qui pèsent sur nos sociétés.

De tout cela, la démocratie ne nous protège pas. Bien au contraire, c’est à nous de protéger la démocratie, car elle est peut enfanter des monstres. C’est très démocratiquement que des ennemis de la démocratie : dictateurs, autocrates, se sont installés au pouvoir pour ne plus le lâcher ensuite. Tout près de nous dans l’espace et dans le temps, c’est très démocratiquement que les Turcs ont décidé le 16 avril dernier d’en finir avec leur démocratie. Il est donc de la toute première urgence de se défier des appétits de puissance de ce qui veulent nous gouverner et de notre aptitude instinctive à la servilité.

Rousseau disait qu’« un peuple libre a des chefs et non pas des maîtres »

Bien avant, en 1576 : un jeune homme de 18 ans écrit un texte saisissant d’actualité pour un lecteur d’aujourd’hui. Il pose, dans une langue étonnamment moderne la question de la légitimité de toute autorité dans le gouvernement des hommes.

Contemporain d’Henri IV, Etienne de la Boétie était l’ami de Montaigne. Titre de son texte : « Discours de la servitude volontaire ».

(1) Centre de recherches politiques de Sciences Po - Février 2016

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article