Un seul doigt suffit

Champs-Elysées, Paris. Les journalistes sont là. Ils sont nombreux. Un poil inattentifs sans doute (on vient de servir le premier plat). France-Montagne les a invités pour une conférence de presse de lancement de la saison d'été. Le thème : "La montagne et les cinq sens". Cinq montagnards planchent les uns après les autres... Les quatre Alpins viennent de passer : le goût, la vue, l'odorat, l'ouïe... Je suis le seul Pyrénéen et me revient le sens dont les autres n'ont pas voulu... Je tente de parler en phrases courtes.

Le toucher : c’est la main, mais c’est la peau toute entière …

C’est l’organe le plus important du corps, par son étendue (1,9 m² chez l’homme, 1,6 m² chez la femme, 1,07 m² chez l’enfant) ; par la densité du réseau nerveux ; par la gamme des sensations produites – de la douleur aux caresses les plus douces…

Le toucher, c’est le média des sentiments les plus extrêmes : les mains sur la peau touchent l’âme à vif. L’amour lui-même n’est que l’échange de "deux fantaisies et le contact de deux épidermes".

Il nous met en correspondance intime avec tout notre environnement. « L’épiderme, c’est ce qu’il y a de plus profond en nous » disait Paul Valéry.

Notre culture contemporaine nous éloigne du toucher et valorise tous les autres sens :
-    La vue : peinture, sculpture, image …
-    L’ouïe : musique, poésie …
-    L’odorat : parfums …
-    Le goût : gastronomie, vins …

Le toucher est banni, rejeté : « Ne pas toucher ! »

Mais les choses sont en train de changer. Nous occidentaux, on a longtemps négligé le corps (associé au Mal), mais nous créons de plus en plus de liens avec la pensée orientale, où l’attention est fortement orientée vers le corps dans son expression tactile, au point d’en faire un exercice sur la voie de l’illumination.

Alors, vivez une expérience existentielle fondamentale : 
Déchirez la carapace,
Retrouvez ce qui est le plus authentique en vous, 
Soyez le voyageur et le découvreur de votre sens le plus essentiel : le toucher.

Revisitez les activités de pleine nature en mettant l’esthétique du toucher au premier plan :
-    Toucher de neige (ski)
-    Toucher de pierre (escalade)

Retrouver les sensations sur tout le corps des milieux montagnards :
-    L’eau (le rafting)
-    L’air (le vol libre)
-    Le vent, le soleil, l’herbe (la randonnée)

Prendre, comprendre, se laisser surprendre… 

Toucher et faire, entrer en communication :
-    La nature (cueillir les fruits, les champignons … apprendre les arbres, les fleurs …)
-    La texture des objets, des matières (artisanat)
-    Les pierres rugueuses de l’histoire et les lieux de mémoire (châteaux, grottes …)

Retrouver la plénitude de soi, le bien-être :
-    Les massages et les soins du corps (thermalisme, thermoludisme …)
-    La remise en forme 
-    L’initiation (yoga …)

Vivre cette inversion sémantique : Toucher : c’est agir vers les autres, vers ce qui m’entoure ; être touché : c’est recevoir, être ému…

Et s’il fallait une ultime preuve de l’absolue supériorité du toucher sur tous les autres sens, j’irai la chercher dans ma mémoire d’adolescent qui s’éveillait enfin à des émois nouveaux. Ma grand-mère qui l’avait remarqué m’avait donné ce précieux conseil que je m’efforce encore aujourd’hui d’appliquer : « Petit, quan passa ûe beroye goujate, n’et desbroumbes pas que los dus oélhs que l’espien passa ne valen pas lou soul dit que la va toca ». Comme c’est du béarnais et que vous ne comprenez pas tous encore cette langue capable de dire l’inexprimable, il me faut donc traduire, ce qui donne – mais le français est décidément trop brutal – à peu près ceci : « Petit, quand passe une jolie jeune fille, n’oublie pas que les deux yeux qui la regardent ne valent pas le seul doigt qui va la toucher. »  

(Intervention lors de la conférence de presse nationale « France Montagne », Pavillon Ledoyen Paris, le 30/05/2007)