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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Beaucoup de bruit pour rien

L’été est une saison propice à bien des excès. Est-ce un excès, une outrance ou plutôt une provocation ? En tout état de cause, la campagne de communication lancée le mois d’août dernier par la Lituanie pour redorer son image de marque n’est pas passée inaperçue. Imaginez des affiches grand format sur les murs des capitales européennes exposant sans confusion possible un homme ou une femme en pleine extase sexuelle, agrippés à un drap en désordre dont les froissements figurent la carte de la Lituanie. Le tout accompagné de slogans tout aussi explicites : la capitale Vilnius se présente comme « le point G de l’Europe » et un « orgasme touristique » vous est promis. 
Outre qu’il y a beaucoup d’arrogance à prétendre garantir un orgasme – c’est chose tellement indécise et fragile ! – les promoteurs de cette campagne publicitaire ont vendu à leurs commanditaires les arguments de la transgression et de la créativité pour se démarquer de la foule des autres visuels qui encombrent couloirs du métro, arrêts de bus et pages des magazines. Mais ces créateurs étaient-ils si créatifs ? La réponse est clairement non, et cela pour deux raisons.
La première - et la principale - est qu’ils n’ont fait, en l’occurrence, que suivre l’air du temps. Ils se sont très banalement conformés à cette tendance généralisée que les sociologues nomment « l’hypersexisation du monde ». Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas le remarquer : nous vivons dans une société saturée de sexualité et ce phénomène touche toutes les situations de la vie quotidienne. La publicité au premier chef qui fait un usage immodéré de l’érotisation des messages. Cette technique consiste à connoter sexuellement des objets la plupart du temps étrangers au domaine amoureux pour mieux les vendre : sodas, voitures, articles ménagers… Il s’agit d’un véritable tour de passe-passe où le consommateur en arrive à oublier les fonctions d’usage du produit pour ne percevoir que son évocation libidinale. Dans cette filouterie, le corps de la femme, voire de la très, très, jeune femme, est prioritairement et massivement exploité. D’autres domaines sont également atteints par cette manie de l’érotisation généralisée. Que l’on songe aux présentatrices de journaux télévisés et aux « miss » météo qui jouent sur leurs qualités plastiques tout autant que sur leurs compétences professionnelles (l’une n’excluant pas cependant l’autre). Même observation dans la sphère sportive où le corps de l’athlète devient iconique. En ce sens Anna Kournikova, petite poupée russe aux allures de Lolita, a rendu un bien mauvais service au tennis féminin en inversant l’ordre des valeurs : l’image prime désormais les résultats. Le même constat vaut pour d’autres disciplines où les réalisateurs s’attardent lascivement sur les détails généreux des spectatrices ou des compétitrices. La révolte des femmes contre cette entreprise de réification et d’uniformisation de leur corps, en les assignant à des modèles corporels inaccessibles, n’a pour l’heure qu’un impact limité. 
La seconde raison qui limite la prétention créative des annonceurs lituaniens est que, contrairement à ce qu’ils clament, ils n’ont rien inventé. Avant eux, nos voisins bordelais ont exploité exactement le même filon : slogan identique, mêmes intentions… C’était en 2009, le Conseil général de la Gironde lançait une campagne promettant elle aussi une extase touristique : «  En Gironde, à chacun son point G...! La Gironde, le plein de plaisirs...! », suivie en 2011 d’une relance : « Les 33 positions du plaisir en Gironde ». Rien que ça !
L’intérêt de l’expérience bordelaise, c’est que l’on a le recul du temps. Vérification faite, huit ans après la diffusion de ces messages promotionnels, il semble que l’on ne s’agite ni plus, ni moins qu’avant sous les couettes girondines ; les offices de tourisme n’ont pas eu à faire face à un afflux brutal de couples empressés, ni envoyer leur personnel suivre une formation accélérée en sexologie. Avec une obstination désespérante, lorsque les visiteurs lèvent les yeux à Arcachon, à Lacanau ou ailleurs, ce n’est pas pour débusquer le septième ciel, mais pour s’enquérir du temps qu’il va faire.
Tout comme nos voisins girondins, il est probable que les promoteurs du point G lituanien n’enregistrent que de très médiocres résultats sur le plan économique. Mais là n’est pas l’essentiel pour eux. Ils l’indiquent clairement dans leur réponse à l’archevêque de Vilnius Gintaras Grusas qui déplorait que leur initiative « renforce potentiellement l’image de Vilnius comme ville du tourisme sexuel et exploite la sexualité féminine ». De son côté, le gouvernement de ce pays majoritairement catholique souhaitait que la campagne soit repoussée après la visite du pape, prévue le 23 septembre. Mais les organisateurs ont refusé : « Ceux qui sont irrités ne font que montrer que notre communication fonctionne, car elle fait parler d’elle et provoque un débat »,
En d’autres termes, ils voulaient faire le « buzz ». Le « buzz » ? Ce mot terriblement tendance qui n’est autre que la traduction contemporaine du titre de la comédie de Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien ». 
 

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