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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Les toqués des TIC

Dans cette famille (nombreuse), il est une tradition tenace : à Noël, tout le monde, sans exception (marmots, minots, jeunots, vieillots…) tout le monde reçoit un cadeau. Ça encombre le dessous du sapin, mais qu’importe, tous doivent y trouver leur compte le soir du réveillon. Le problème pour le prochain réveillon, c’est que Papy vient d’avoir 70 ans et qu’il convient de marquer le coup pour ce saut de décennie. Enfants et petits-enfants cherchent la bonne idée : celle qui surprend et séduit. Comme tous sont de la génération internet, connecter Papy, encore rétif aux TIC (1), est une évidence. Leurs arguments sont imparables. 
L’Internet, constitue, incontestablement, une révolution d’ampleur égale aux débuts de l’écriture ou de l’imprimerie. C’est plus qu’une révolution technologique qui nous permettrait d’augmenter et de densifier notre capacité de communication, sans se soucier  du temps, de la distance et de la nature du message ; l’internet est une révolution radicale qui bouleverse en profondeur nos manières d’être et de penser. Le monde numérique est devenu de plus en plus indispensable à nos vies, au domicile, au travail, dans les relations familiales, amicales, amoureuses, en termes de choix de consommation... On doit faire avec désormais. Nous sommes en quelque sorte devenus les « créateurs de notre propre servitude », une nouvelle servitude volontaire au sens de La Boétie. Alors, puisque tout le monde y passe (2), il faut que Papy y passe aussi !
Voilà les enfants satisfaits, leur idée est excellente : le cadeau fait d’outils connectés pour le grand-père sera le bienvenu (il réunit tous les critères du bon cadeau). Scénario en apparence parfait, mais tous avaient omis un détail : pas un n’avait pensé que Papy ferait de la résistance. Et c’est-ce qui advint.
Quand, par une petite indiscrétion, l’ancien eut vent de l’affaire, tout aussitôt il se cabra, grogna, puis, l’air boudeur, se dit in petto   : « Quelle bande de couillons,  ils n’ont vraiment rien compris ! »
Il réfléchit à un contre argumentaire, mais comme il échouait à formuler rationnellement sa pensée, lui vint une idée lumineuse : demander l’intercession du personnage le plus virtuel qui soi. De sa plus jolie écriture (celle que l’on trace, avec des pleins et des déliés, à la plume Sergent-Major sur un beau papier), il fit une lettre, aimablement provocatrice, au Père Noël. 

Cher Père Noël,
Il y a bon nombre d’années qu’on se côtoie. Et pourtant, on se connait peu. Mais là, aujourd’hui, j’ai besoin de toi.
Tu sais que j’ai deux enfants et quatre petits-enfants, tous bien dans leur peau, mordant gaiment dans la vie, brillants et affectueux. Je suis fier d’eux. Mais voilà…
Certains ont eu l’improbable idée de vouloir faire de moi un papy moderne et je sais qu’ils t’ont demandé de déposer au pied du sapin une montre hyper connectée et intelligente, un téléphone qui sait tout faire (et même téléphoner !) et quelques autres babioles de ce genre…
Je te le dis tout net Père Noël : ces cadeaux-là, je n’en veux pas ! Tu peux te les garder ou les refiler à un quelconque timbré adepte du bluff technologique. Tu en trouveras un sans peine. La race abonde aujourd’hui…
Mais puisqu’à Noël nous sommes tous réunis, pour ne pas gâcher la fête et ne vexer personne, je te commande un petit cadeau de remplacement. J’espère que c’est possible pour toi. J’aimerais que tu m’offres mes plus belles émotions de jeunesse. C’est simple, il suffit qu’elles soient gravées dans ma peau. Juste quelques séances chez un bon tatoueur et je pourrai arborer fièrement Marilyn Monroe sur mon bras gauche, Brigitte Bardot sur mon bras droit et sur tout le dos Joséphine Baker dansant avec sa ceinture de bananes. Voilà mes commandes à moi, Cher Père Noël ; c’est juste un peu de rêve éveillé et d’imagination qui prend le pouvoir. Je veux pouvoir encore longtemps cultiver de tout mon soûl cet art si salutaire, l’art d’être démodé. 
Mes enfants, ces toqués des TIC, ne vont certainement pas s’en satisfaire. Ils vont trouver que mes connexions sont chimériques…. Et ils auront raison, mais au moins, elles ne seront pas virtuelles, elles seront charnelles. 
NB : J’ai adressé une copie de cette lettre à tous mes rejetons : ceux de la première et de la deuxième génération.

Faisons un saut d’une semaine dans le temps. Imaginons ce que sera la soirée de Noël à venir dans cette famille « presque » internétisée.
« My Heart Belongs to Daddy » (3) passe en boucle sur une Hi-Fi d’époque. Sous le sapin, il n’y a ni montre, ni smartphone. Juste un joli paquet enrubanné au nom du grand-père. Lorsque Papy l’ouvre, il découvre une bouteille de vieil Armagnac, millésimée 1951. Tout en joie, levant les bras, la bouteille à la main, il s’écrie : « Là est la vraie vie les enfants ! La bonne, la pétillante, la joyeuse… en buvant ce nectar ensemble, nous communiquerons concrètement, pas virtuellement. Quelle misère contemporaine que la virtualité ! »

(1) Technologies de l’Information et de la Communication
(2) D'après l'édition 2021 du " Baromètre du numérique ", 84 % des personnes âgées de douze ans et plus en France métropolitaine sont équipés d'un smartphone fin 2020. Pour les plus de 70 ans, ils ne sont plus que 44 % 
(3) Chanson de Marilyn Monroe dans le film « Le Milliardaire » de George Cukor et avec laquelle elle séduit Yves Montant.
 

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