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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

l'anti-hasard

Ce n’est pas l’homme de la parole rare. Sa présidence est bavarde. Macron parle beaucoup, il parle tant qu’il m’arrive de ne pas l’écouter. Oui, mais le 25 septembre dernier j’étais devant mon poste. L’affaire était d’importance : une planète invivable, ça me concerne. Macron présentait une écologie « à la française », qui serait « accessible et juste » à l’issue du second Conseil de planification écologique. Alors, je l’ai écouté attentivement, mais la multitude de ses annonces m’a troublé l’esprit et, à la fin de son intervention, j’éprouvais le sentiment gênant de n’avoir pas tout compris.

J’ai cherché des réponses à mes interrogations dans les médias. J’ai vu, sur les plateaux télé, défiler des généralistes de tout acabit, des journalistes d’opinion qui n’en avaient pas, des experts polyvalents qui ne savaient pas, et des spécialistes de la spécialité autoproclamés… Il y avait dans le tas des climato-béats, des climato-radicaux, des climato-sceptiques (ça existe encore) et quelques éléments de cette espèce émergente des climato-je-m’en-foutistes…  Tous étaient en panne d’éloquence, débit pesant, langue pauvre et arguments incertains. Ils ne m’ont fourni que des explications emberlificotées.

Alors, comme je considère qu’une bonne information est une exigence démocratique et que « savoir, connaître et comprendre » est un acte citoyen, je suis allé directement à la source (1) et je me suis collé à la lecture des pages sur la planification écologique. Lecture roborative de textes au style technocratique (comment aurait-il pu en être autrement !) qui réclament une concentration continue.  À la fin d’un chapitre, titré : « C’est quoi le plan ? », je suis tombé sur un document à télécharger, et là –  oh ! surprise – tout est devenu clair : une synthèse (40 pages tout de même) lisible, compréhensible et surtout instructive.

Dès lors, j’ai écouté d’une oreille plus avertie les réactions des politiques au propos macroniens. Comme on pouvait s’y attendre, peu sont favorables. Yannick Jadot pose un problème de timing : « Le problème de fond, c’est qu’Emmanuel Macron ne veut pas transformer notre modèle économique. Aussi, sur le climat, il filoute. Il s’en remet aux innovations technologiques qui, dans 10, 20 ans, 30 ans, résoudront les problèmes. Il n'est pas dans le bon tempo… Les urgences appellent des réponses immédiates ». Marine Le Pen est plus radicale – étonnant, non ? – : « La planification écologique présentée par Emmanuel Macron n'est pas une transition, mais une destruction », pointant en particulier la fin programmée des voitures à moteurs thermiques. Jean-Luc Mélenchon, avec sa malice coutumière, estime que Macron n’a fait que le copier, mais pas bien : « Emmanuel Macron a repris le mot de « planification écologique » mais il ne l'a pas bien compris », et il rappelle qu'il est le premier à avoir introduit cette expression dans le vocabulaire politique en France. En tout état de cause, sur un large spectre des sensibilités politiques, le recours à la planification est validé (à l’exception de Marine le Pen qui ergote sur ce sujet). Pourtant, la planification n’est pas une idée neuve en France.

Voilà un paradoxe. Il faut en chercher les prémices aux paradis de la liberté économique, les États-Unis. Confronté à la grande dépression (1929), Roosevelt estime que pour sortir de la spirale infernale de la crise il faut que l’État intervienne : contre l’anarchie du marché, il prône la logique ; contre l’incertitude, la prévision. Cet interventionnisme américain produit le concept de plan, voire de planification qui va progressivement transformer l’ « Etat Gérant » en « Etat Savant ».
De Gaulle adapte l’idée en France. En 1946, sous son impulsion, nait le commissariat général du Plan, avec pour objectif de reconstruire une France dévastée par la Seconde Guerre mondiale. Le Ier Plan (dit Plan Jean Monnet) est un plan de renaissance économique. Il fallait opter entre un développement modeste de toutes les branches ou une forte progression de quelques activités motrices. C’est ce dernier choix hardi qui a été fait : tout a été concentré sur le charbon, l’électricité, l’acier, le ciment, le machinisme agricole et les transports. Et ça a marché. Le IIème Plan, à partir de 1954 s’est étendu à l’ensemble des activités économiques, notamment l’agriculture, les industries de transformation…
Depuis « l’esprit du Plan » a jalonné la politique française. Il s’est inscrit dans la logique des Trente Glorieuses, marquée par la recherche d’une croissance rapide. Différents plans imprégnés d’une vision productiviste se sont succédé. A partir des années 80, la pensée ultralibérale est devenue dominante – encombrant héritage de Reagan et de Thatcher – dans les pays occidentaux.  Avec sa méfiance de l’interventionnisme étatique, elle a signé la mort lente du plan. 

Presque cinquante ans plus tard, on assiste à un retour en grâce de la planification dans les discours politiques. Le président de la République évoque, dans une allocution aux Français le 13 avril 2020, la nécessité de rebâtir « une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la résilience qui seuls peuvent nous permettre de faire face aux crises ». Étonnamment, Jean-Luc Mélenchon use des mêmes mots dans une brochure de février 2021. Il faut dire que la période est complexe et périlleuse. C’est comme si nous passions sans transition d’une crise à l’autre : pandémie, vagues de chaleur extrême, incendies, sécheresse, changement climatique, inflation, guerre, crise de l’énergie… Elle est marquée par une incertitude persistante et une volatilité élevée sur les marchés mondiaux. 
Face à l’insondable mystère de l’avenir, à la multiplication des discours dystopiques qui troublent l’opinion,  le plan est un efficace réducteur d’incertitude, un facteur de rassurance collective, une « ardente obligation » pour contrer le hasard.
(1) Lien : https://www.gouvernement.fr/france-nation-verte
 

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