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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Voyage au bout de l'ennui

C’était il y a 49 ans pratiquement jour pour jour. Ce 15 mars de l’année 1968 va marquer l’histoire, tout au moins l’histoire de la presse. En effet, Pierre Viansson-Ponté, le très sérieux éditorialiste du vénérable journal « Le Monde » lance un avertissement inattendu. Son papier « Quand la France s’ennuie » va connaitre une belle notoriété car, rétrospectivement, beaucoup d’observateurs vont lui attribuer une valeur prémonitoire.

J’en ai repris la lecture. Il suffit d’en changer quelques mots, de déplacer quelques virgules pour trouver à ce texte des résonances troublantes avec notre actualité.

Viansson-Ponté commençait ainsi : « Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. »

La France s’ennuie-t-elle aujourd’hui ? Comment en douter tant les signes de lassitude et de désespérance sont nombreux. Elle s’ennuie comme un animal en cage qui tourne sur lui-même.

Entre renoncement, résignation et ennui, la marge est étroite.

La jeunesse s’ennuie-t-elle ? A quelques mois de l’élection présidentielle, plus du quart (27%) des jeunes se déclarent « résignés ». Ils ne sont que 8% à se dire « confiants » et 5% seulement à se montrer « enthousiastes ». Une forte majorité (68%) avoue « s’en sortir difficilement avec leurs revenus » et « ne pas trouver leur place dans la société ».

Les citoyens s’ennuient-ils ? La dégradation de leur moral est patente. Un sondage du Cevipof le confirme : 32 % des personnes interrogées se disent aujourd'hui gagnées par la "méfiance", le sentiment de "morosité" touche désormais 31 % de la population. "En 2009, le niveau de défiance était déjà très élevé. Il est devenu vertigineux", observe Pascal Perrineau, le directeur du Cevipof. Cette crise a un corollaire: la conviction que la démocratie fonctionne mal et le discrédit qui touche tous les étages de la représentation politique. Que disait Viansson-Ponté à l’époque ? « Les empoignades, les homélies et les apostrophes des hommes (et femmes) politiques de tout bord paraissent au mieux plutôt comiques, au pire tout à fait inutiles, presque toujours incompréhensibles… »

Et le président lui-même, est-il à l’abri de l’ennui ? Il semble se morfondre dans son palais empli de solitudes, hésitant entre bouderie, rancœur et impuissance. Image d’une république à bout de souffle. Le même constat valait pour de Gaulle que l’éditorialiste du « Monde » avertissait : « Le vrai but de la politique n’est pas d’administrer le moins mal possible le bien commun, d’exprimer en lois et décrets l’évolution inévitable. Au niveau le plus élevé, il est de conduire un peuple, de lui ouvrir des horizons, de susciter des élans, même s’il doit y avoir un peu de bousculade, des réactions imprudentes. » Et d’estimer que « l’ardeur et l’imagination sont aussi nécessaires que le bien-être et l’expansion. »

Ils le sentent bien les candidats d’aujourd’hui qui parlent de « futur désirable », de « réenchanter le quotidien ». Mais y croient-ils eux-mêmes ? De fait, ils laissent la scène libre. Viennent s’y installer les apôtres des « passions tristes ». Eux (Elles) ne s’ennuient pas. Ils (Elles) n’ont pas de temps à perdre. La mélancolie ambiante est un terreau fertile dont ils (elles) usent à l’envi pour faire éclore des fleurs vénéneuses si faciles à croire belles : murs, frontières closes, repli sur soi…

Alors, pour ceux que l’ennui étreint, la tentation est sans doute de plus en plus grande, au fil des années, d’essayer, simplement pour voir… Comme au poker. Les experts sondagiers se veulent rassurants : le risque est faible prédisent-ils, le fameux plafond de verre est solide. Nous sommes pourtant prévenus : le risque est faible, soit, mais le danger est fort.

Obnubilés par les tendances lourdes que dégagent les indicateurs sociaux et économiques, sommes-nous suffisamment attentifs aux signaux faibles, aux risques de rupture, à l’imminence de cette « étincelle qui peut mettre le feu à toute la plaine » ?

Deux mois après la publication de l’éditorial de Pierre Viansson-Ponté, la révolte soixante-huitarde bousculait un régime que l’on croyait inoxydable.

Bien sûr, le parallèle a ses limites. Plaquer le passé sur le présent est une erreur de raisonnement préviennent les spécialistes. « L’histoire ne se répète jamais » disent-ils. Et Marx ajoutait « Mais il lui arrive parfois de bégayer ».

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