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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

MEMORIAE

C’était si peu, ce n’était rien : juste la trace des lèvres d’une femme sur le bord d’un verre délaissé sur cette table isolé d’un bistrot ordinaire… Cet événement si ténu, minuscule, fonctionna comme un éveilleur de souvenirs. Elle aussi laissait du rouge à lèvres sur le bord des verres dans lesquels elle buvait et, lorsqu’elle me demandait en riant si je voulais goûter son vin, je posais mes lèvres sur la marque des siennes et nous parlions longuement de vin, de musique et de littérature… Mais ma mémoire est une grande oublieuse. Je ne sais plus rien de son visage et notre histoire est devenue confuse. La reconnaitrais-je si je la croisais par hasard ?
Il y a dans Fictions,un livre de José-Luis Borgès, une nouvelle troublante. Elle raconte l’histoire d’Irénée Funès, un homme d’une érudition exceptionnelle, qui à la suite d’un accident de cheval, est devenu infirme et en même temps, a perdu la faculté d’oublier. Sa perception exacte du temps, des objets extérieurs, lui permettent de retenir en un instant chaque parcelle de la réalité qu’il perçoit. « Il connaissait les formes des nuages austraux de l’aube du trente avril mil huit cent quatre-vingt et pouvait les comparer au souvenir des marbrures d’un livre en papier espagnol qu’il n’avait regardé qu’une fois et aux lignes de l’écume soulevée par une rame sur le Rio Negro la veille du combat de Quebracho… » Mais comment vivre si l’on n’oublie plus rien ? Il faut avoir la volonté d’oublier pour avoir l’audace d’accueillir le surgissement du présent libre des blessures et brûlures du passé.
 

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