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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Fin de partie

Aujourd’hui, nous sommes le samedi 27 avril 2019 *; la journée promet d’être calme. Bien sûr, on notera quelques agitations devenues familières auxquelles les chaines d’information continue tenteront de donner un tour dramatique… C’est le lot de tous les événements soumis au matraquage médiatique : après avoir joué dans le registre de l’émotion produit par les images, les télés feront appel aux fast-thinkers, ces penseurs qui dégainent leurs vérités plus vite que leur ombre. Ils encombreront les plateaux pour tenir les téléspectateurs en haleine jusqu’à ce que survienne la lassitude. Alors, on se surprendra à considérer que d’aucuns vont à la manif du samedi vêtus de jaune, comme d’autres vont, chemise repassée de frais et robe élégante, à la messe du dimanche. Simple observance d’un rituel bien rodé. Mais pour l’heure rien n’indique que ce 27 avril passera dans l’histoire.
Etait-il historique cet autre 27 avril, qui, il y a cinquante ans exactement, marqua la fin d’un règne ? Bien que ce jour-là aucune tension ne troubla le pays, ce fut, selon les mots d’un François Mauriac inconsolable, « un suicide en plein bonheur ». De Gaulle venait de perdre le référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. L’affaire était risquée : une formulation complexe, voire confuse de la consultation, et surtout, un référendum transformé en plébiscite par la décision du chef de l’Etat de mettre sa démission en jeu. Dès lors, il était clair que les électeurs ne répondraient plus à la question posée, mais à celui qui la posait. Il y eut d’autres référendums depuis, mais ceux qui y eurent recours, se gardèrent d’engager leur responsabilité.
Je dois reconnaître qu’à cette époque je voyais, comme beaucoup de jeunes gens de mon âge, le Général moins comme un chemin que comme un obstacle qui fermait l’horizon. Je n’accordai aux textes proposés que l’attention un peu distraite que l’on porte aux combats que l’on pense inutiles. Mais voilà : il y a peu, j’ai entrepris de lire les documents de cette époque et de revoir les interventions du président à la télévision (quel bel outil que l’Institut national de l’audiovisuel !). Il s’ensuivit pour moi un malaise inattendu. De Gaulle était dans le vrai et il avait agi en visionnaire. Lui, l’homme qui réunissait tous les pouvoir et tenait la centralisation de l’Etat pour le ciment de la Nation, avait perçu des mutations qui allaient bouleverser la France. Pour calmer les craintes de ses proches, il feignait de présenter son projet comme le simple « aménagement à la moderne des anciennes provinces ». Mais le dessein était autrement ambitieux et radical : « L’évolution générale porte notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire à la France pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui  apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain »
Compte tenu du caractère plébiscitaire du scrutin, la gauche vota contre une réforme qui adoptait pourtant plusieurs des idées de Pierre Mendès France et Gaston Defferre. Douze ans plus tard, François Mitterrand, nouvellement élu président de la République, reprit presque mot pour mot le discours gaullien : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » L’adversaire résolu du gaullisme, fit alors du combat perdu par son illustre fondateur, « la grande réforme » de son septennat. Le Général avait tout simplement eu tort d’avoir eu raison trop tôt.
Il y a une dimension romantique dans cette fin de partie, lorsque renoncement, nostalgie se mêlent et que s’installe la fatalité. On perçut chez celui qui fut tout puissant, l’impatience d’en finir vite : « Levez-vous vite orages désirés… » clamait avant lui Chateaubriand. De Gaulle quitta immédiatement le pouvoir. Lui qui disait : « Il faut avoir de la peine au sujet de la France, elle le mérite » laissa filtrer un sentiment qui s’apparentait à du dépit amoureux. Ses adieux ne furent précédés d’aucun au revoir. Il attendit minuit et adressa dix minutes plus tard à l’Agence France-Presse un communiqué laconique : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Puis, il quitta Paris pour se rendre à Colombey-les-Deux-Eglises. Arrivé dans sa résidence de La Boisserie, le Général dit à la femme de chambre qui l’accueillait : « Cette fois, Charlotte, nous revenons pour de bon. »

* Chronique rédigée trois jours avant sa parution dans Pyrénées-Presse
 

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