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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Lettre à un ami je-m'en-foutiste

Nous sommes, toi et moi, enfants d’une même époque. Celle où la mémoire des tueries industrielles du siècle est toujours ardente, celle où restent vifs les hurlements et âcres les fumées des vies calcinées… C’était juste avant notre naissance. Depuis, toi et moi, lorsque nous entendons de loin en loin les églises de France, d’Espagne, d’Italie, l’Allemagne ou de Pologne carillonner, on se dit que tout est comme toujours… Et pourtant, depuis que, toi et moi, nous sommes de ce monde, ces clochers ont oublié la sombre musique du tocsin. Ils ne le sonnent plus ; nous vivons en paix et nous trouvons cela ordinaire.
Cette quiétude des peuples, elle s’est construire sans nous. Ce sont d’autres qui l’ont voulue pour nous. Il fallait bien qu’ils viennent de deux pays vaincus, ces hommes fous qui ont bousculé l’histoire pour croire à ce « songe intérieur qui ne s’achève jamais » qu’est l’union des nations d’Europe. Tu me dis que toutes ces commémorations autour des monuments aux morts ne font que retarder l’oubli.  Et cette Europe qui a gagné la paix, elle est trop irréelle, complexe, lointaine pour toi. Donc, aujourd’hui, tu t’en fous…
Mais la paix est lénifiante. Elle apaise les colères et rend invisible les malheur de ceux qui, loin de nous, sont toujours plongés dans la guerre. De tous ces gueux des temps modernes, condamnés à l’errance, tu dis qu’ils viennent de contrées si étranges que tu ne sais pas quoi faire pour eux. Tu te fends d’une éphémère tristesse, c’est tout. Lui succède parfois une sourde inquiétude : un désagrément est si vite arrivé … Alors, tu soutiens les migrants lorsqu’ils émigrent mais tu les rejettes quand ils immigrent. Veulerie des bons sentiments. Puis, pour te consoler, tu fais le projet d’aller bronzer ta couenne l’été prochain sur les plages de la mer qui leur sert de cimetière. En bref, de tous ces hommes, femmes et enfants qui n’ont de place ni chez eux, ni chez nous, tu t’en fous…
Et quand ta lycéenne de fille t’annonce au petit déjeuner qu’elle va sécher les cours vendredi pour rejoindre la marche des jeunes pour le climat, tu fais comme si tu ne l’entendais pas. Et lorsqu’elle te demande de la soutenir comme les parents de Greta Thunberg ont soutenu leur fille de 16 ans dans sa croisade ; qu’elle te raconte comment ils l’ont applaudie quand elle a déclaré au Sommet de Davos devant un parterre d’adultes : « En 2078, je célébrerai mon 75e anniversaire, et si j'ai des enfants, ils fêteront peut-être ce jour avec moi. Peut-être qu'ils me parleront de vous, qu'ils me demanderont pourquoi vous n'avez rien fait quand il était encore possible d'agir. » Là, tu t’agaces : « le climat, le climat… après la pluie vient toujours le beau temps, que crois-tu pouvoir y changer ? Pour être clair : passe ton bac d’abord !… ton climat, je m’en fous…»
Sur toutes ces questions : l’Europe, les migrations, le climat, et bien d’autres encore, tu fais valoir ton droit à l’indifférence. La somme de tes désintérêts est considérable. Ta désinvolture ressemble à une absence au monde. 
Dimanche prochain c’est jour d’élections. Ne prends pas la peine de me le dire, je sais bien que de ça aussi tu t’en fous. Tu n’iras pas voter. Moi, j’irai. Et même si ma voix est minuscule, elle dira l’Europe je veux pour moi et mes enfants. D’autres voteront également. Ils diront une Europe différente de la mienne, peut-être même plus d’Europe du tout… Et toi, dans ton fauteuil, tu t'inquiéteras vaguement des résultats. Mais qu’importe : nous aurons choisi pour toi. 
 

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