Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

La paix indésirable ?

13 janvier 2020 : séance du G5 Sahel à Pau.
Dans les jours précédant le sommet, tout semble paisible dans la ville. Nous sommes quelques-uns à observer, amusés et curieux, les chicayas de rouspéteurs de métier, le déplaisir de très honnêtes citoyens aux habitudes subitement contrariées, aux certitudes bousculées, les passants s’étonnant des rue désertées, des boutiques aux rideaux tirés, du spectacle d’une cité livrée aux mains d’une police attentive à contrôler chaque coin du rue… Certains s’en satisfont toutefois trouvant que c’est bon pour la notoriété du Béarn. « C’était autrement plus prestigieux pour le G7 à Biarritz ! » marmonne le chauvin de service…
Toutes ces fariboles s’évanouissent d’un coup dès le lundi matin. La cérémonie d’hommage aux soldats du 5ème RHC impose une profonde gravité. Puis, le recueillement cède le pas à l’inquiétude. Quelque chose d’essentiel était en train de se dérouler-là, sous nos yeux, dont nous avons du mal à mesurer les conséquences. 
Lors de la conférence de presse qui suit le sommet, le président Macron et ses homologues du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) constatent publiquement que l’opération Barkhane ne parvient plus à contenir efficacement la menace djihadiste. Cruel constat d’échec et d’impuissance. Nous sommes donc engagés dans une guerre que les spécialistes qualifient « d’asymétrique », tenace, chronique, diffuse, sans perspective de victoire réelle. Est-il une paix envisageable ?
Me reviennent alors en mémoire deux lectures anciennes. 
La première date des années 60. J.K. Galbraith, conseiller très écouté du président Kennedy, produit un texte au titre paradoxal et scandaleux : « La paix indésirable ? ». C’est l’introduction d’un « rapport sur l’utilité de guerres » destiné au gouvernement américain. L’analyse, conduite, parait-il, par un collège de quinze experts examine avec une froideur et un réalisme stupéfiants « les problèmes qui se poseraient aux Etats-Unis si une situation de paix permanente se produisait ». On s’est questionné à l’époque sur l’authenticité de ce document, tellement les conclusions en étaient glaçantes. En effet, ce rapport affirmait qu’une situation de paix permanente présenterait pour « la stabilité de la société » de tels dangers qu’il fallait envisager le maintien d’un « système fondé sur la guerre » préférable à celui qui serait fondé sur la paix.  Sont examinés en détail les bénéfices économiques, politiques, sociaux, écologiques, culturels et scientifiques de la guerre. Qui lit ce texte avec minutie, le ressent comme une véritable insulte à la conscience humaine. Il est un renoncement, une acceptation d’un tragique destin. Notre destin d’humain qui serait la guerre, toujours la guerre, la guerre insupportable mais supportée, évitable mais inévitée. Combien de fois dans notre histoire l’avons-nous faite cette guerre, en la déclarant juste et en la voulant vertueuse ? Et combien de fois, nous a-t-elle échappée pour créer des monstres.
On se surprend alors à rejoindre le fatalisme poétique de Victor Hugo qui accuse Dieu de détourner son regard des malheurs des hommes : « Depuis six mille ans la guerre / Plait aux peuples querelleurs, / Et Dieu perd son temps à faire / Les étoiles et les fleurs. »
Un deuxième texte s’imposait aussi à moi. Comme beaucoup, j’imaginais, qu’en son château, l’esprit du roi Henri flottait et qu’il insufflait un peu de son « art de la paix » aux participants au sommet du 13 janvier. « L’art de la paix », c’est le titre très inspiré que Michel Rocard a donné à la préface d’une édition de « L’ Édit de Nantes » publiée pour le 400ème anniversaire de la proclamation de cet acte qui signa la fin des guerres intestines qui ravagèrent la France et fit d’Henry IV un très grand homme de notre histoire. Tout y est qui, au-delà des siècles, semble faire, comme aujourd’hui, le lit de conflits inextricables et insolubles. Rivalités d’hommes, de classes, de castes, de religions ; mémoires torturées ; intérêts antagoniques ; impotence des pouvoirs ; ivresse de la violence ; société disloquée… Or la paix advint. Pour Rocard, l’Édit de Nantes, dans sa procédure d’élaboration, comme dans son contenu, lui paraît profondément novateur, fondateur d’avenir au sens strict, ce qui est la marque d’une vraie paix : « C’est à l’évidence, une magnifique orfèvrerie de la paix. L’ampleur de vue, l’esprit de synthèse, le courage et la méticulosité y font merveille ». Et puis, il y a tous les talents du roi de France. 
Mais Henri IV s’en prend, lui aussi, à l’au-delà. Il a soin de relativiser son œuvre et sa puissance, en déclarant, non sans malice : « Vous pouvez, mes bons sujets, me demander beaucoup de choses et notamment de faire la paix. Mais ne me demandez pas l’impossible, qui serait de mettre fin à ce scandale qu’est la pluralité des religions ». 
 « Tout de même, Henri IV, dans ce travail-là, quel service tu nous auras rendu. » s’écrie Rocard en conclusion.
 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article