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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

BREF ÉLOGE D'UNE GÉNÉRATION ÉPERDUE

Pau, dimanche 23 février. Boulevard des Pyrénées. Journée lumineuse et chaude. Le printemps fait la nique à l’hiver. Les hommes sont habillés très « sportwear » ; les femmes, épaules nues, ont des jupes légères qu’elles retroussent un peu pour laisser gagner le soleil lorsqu’elles s’installent enfin à la terrasse d’un café (les places sont si rares !)… Tout Pau est en promenade cet après-midi-là. Tout Pau flâne le long de la balustrade et papote, goûtant à petit pas de doux moments d’insouciance… Tout Pau semble joyeux… Tout Pau, sauf Hannah. Hannah déambule elle aussi, mais sa mine est boudeuse. Lorsque je la croise, elle se livre sans retenue : «  J’ai arrêté de travailler il y a six mois, me dit-elle, et la vie qui se profile devant moi me semble bien grise… La solitude m’est promise (toutes mes histoires avec les mecs ont viré à la catastrophe) et je n’aime pas ça, et toute cette oisiveté m’angoisse… J’ai la démangeaison des ailleurs : voyager, aller et venir sans contrainte, être l’exploratrice curieuse des coins les plus secrets de la planète, mais dès que je fais un projet de départ, ma fille fait le compte du Co2 que je vais cracher en prenant l’avion juste pour mon seul loisir. Alors je renonce car je sais qu’elle a raison… Résignée, Hannah conclut : Tu vois, je le crains, ce siècle n’est plus le mien. Je n’en suis que l’invitée de fortune. L’hospitalité qu’il m’accorde est tellement amère… Et pourtant, je ne peux me défaire de ce paradoxe : il me reste (statistiques à l’appui) une vingtaine d’années à tirer. Vingt ans ! Presque le temps d’une troisième vie, le temps d’être et de faire encore… » Sourire triste aux lèvres, Hannah s’éloigne promenant un œil distrait sur les Pyrénées. L’aurais-je consolée en lui disant que son blues du moment était le blues de toute une génération. Sa génération.
Hannah est enfant du baby-boom. Née dans ces temps d’euphorie d’après-guerre. Entre 1946 et 1973, le baby-boom a constitué un véritable big bang de la natalité. Repopulation pléthorique et unique, que l’on a nommé par facilité « la génération bénie ». Son destin sera exceptionnel. Confiante dans tous ses rêves, certaine de toutes ses utopies, elle sera très épargnée – parenthèse historique – par les grand conflits et les malheurs du monde… Le progrès avait un sens pour elle. Il se colorait d’une évidence : demain, bien sûr, on vivrait mieux qu’aujourd’hui et l’on vivrait plus vieux. Et c’est-ce qui arriva. Augmentation continue et soutenue du niveau de vie, de la santé et d’espérance de vie (on est passé de 62 à 82 ans en moyenne), amélioration de la protection sociale ; gain de nouvelles libertés, de nouveaux droits, ouverture d’horizons inconnus... Nul ne songeait alors à célébrer ces victoires, car elles n’étaient que des évidences. La France compte, aujourd'hui, 20 millions de boomers qui commencent, comme Hannah, à prendre de l'âge et à faire de l’ombre.
Car, voici que cette génération dorée se retrouve d’un coup engluée dans les marais d’un monde nouveau qu’elle a contribué à créer mais dont elle n’a pas perçu les périls. Sommée de faire l’inventaire-liquidation de ses propres illusions, la voilà devenue suspecte, reléguée par ses propres enfants au rang humiliant de génération maudite, responsable sinon coupable des maux de notre siècle, des mœurs dégradés, du fric qui beugle, du climat qui s’affole et de la planète qui gémit. Mais pourquoi, s’inquiètent les « boomers », après tant de gloire, supporter tant d’indignité ? Le temps se gâte pour eux et les coups pleuvent. La très jeune Greta Thunberg, silhouette gracile et verbe haut, n’y va pas de main morte dans la remontrance. Même ses murmures sont des cris : « Nous devons tenir les générations précédentes responsables de la pagaille qu’elles ont créée… » Elle s’emporte à la tribune de l’ONU. Ce qu’elle dit alors à tous les puissants du monde qui l’écoutent, c’est la phrase la plus insupportable qu’ils puissent entendre : « How dare you ! ». « Comment osez-vous ! »  Encore plus expéditive est la réplique cinglante que la jeune parlementaire néo-zélandaise Chlöe Swarbrick, a utilisée pour clouer le bec à un collègue plus âgé qui l'invectivait au Parlement. Son « Ok Boomer ! » a fait le tour du monde. C’est désormais la phrase culte de tous ceux qui critiquent radicalement les modes de pensée des générations précédentes qui ont marqué la politique, l'économie et l'environnement. Manière de leur dire : « Vous n’avez plus le droit à la parole. Vous êtes disqualifiés à nos yeux. Votre temps est passé. » O tempora ! ô mores !
 

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