Incongruités

Cette situation aurait pu être réelle, elle ne l’est qu’en partie…
Un week-end d’automne, plusieurs personnes, venues de la France entière, se réunissent dans un grand chalet pour célébrer la « résurrection » de l’un d’entre-eux… Il y a, dans ce huis-clos montagnard, des gens qui ne se connaissent pas, d’autres qui se sont perdu de vue depuis longtemps.
Au matin du deuxième jour, on se retrouve pour le petit déjeuner. Un homme et une femme entrent dans le réfectoire. Ils marchent à petit pas et s’installent au bout de la table. Quelqu’un dit :
– Oh là, vous deux, vous avez l’air bien crevés… Vous avez mal dormi ?
– C’est que, dit l’homme, nous avons fait quelque chose qui n’est plus de notre âge…
– Vous avez fait quoi ?
– Eh bien, nous avons fait une noa…
– Une noa, Kezako ? demandent les autres, subitement attentifs.
– N.O.A., c’est l’acronyme de « Noche de Ojos Abiertos »… Est-il besoin que je traduise ?
– Et alors ?
– Alors, on a passé la nuit à tchatcher et à baiser…
– (silence et étonnement autour de la table)
– Oui, à tchatcher car on avait tant de choses à se dire… A baiser car on avait tant d’émois à rattraper… Je ne sais pas si la nuit a suffi, il faudra sans doute que l’on joue les prolongations à l’heure de la sieste…
– C’est irraisonnable ! font les autres…
– Est-ce irraisonnable que de donner son compte à un demi-siècle de temps silencieux… Nous nous sommes tant aimés, fugacement, intensément, et ça on le savait… et puis, il y a eu ce « rien » de cinquante ans où nous nous sommes tant espérés, mais ça on ne le savait pas, jusqu’à cette nuit…
– Reprenez un peu de café, dit quelqu’un… il est encore chaud…
– Nous aussi.