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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Murmure de la terre

 

En prélude à l’opération « Imaginons demain » (1), conférence de David Djaïz (2) au Palais Beaumont, le 12 mai dernier. Discours précis, analyses minutieuses, exemples édifiants… en deux heures un vaste tour d’horizon est brossé. J’ai noté le rappel des « âges de l’aménagement du territoire » qui ont façonné la France d’aujourd’hui.  David Djaïz les résume en trois formules frappantes. Le premier, c’est celui « l’égalité des droits ». La IIIème République, encore fragile, passe un pacte essentiel avec les campagnes : la commune devient le lieu où se réalise la promesse républicaine. Le deuxième âge, c’est celui de « l’égalité des places ». Nous en sommes aux « Trente glorieuses » ; la mode est alors à l’organisation scientifique du travail. On calque les méthodes du management entrepreneurial sur la France (considérée comme une grande firme) : chaque région, chaque territoire, chaque institution a une fonction bien définie dans le système. Enfin, le troisième, c’est le paradigme de « l’égalité des chances ». Depuis les années 90, avec la baisse des ressources, les territoires sont mis en compétition sur la base d’appels à projets et de contrats de développement locaux. 

La référence à la IIIème République m’a surpris. Je ne pensais pas qu’elle tenait une place si décisive dans la construction de notre imaginaire rural. Laissons parler l’histoire… Le projet imaginé par Gambetta est de « faire chausser aux paysans les sabots de la République ». Pour cela la terre devient patrimoine familial et ce statut fait du laboureur un propriétaire foncier. Il est enfin bénéficiaire des acquis de 1789. Cette vision d’une « république des villages et des paysans » structure encore la représentation que les agriculteurs ont d’eux-mêmes et transpire aussi sur l’ensemble de la société. Elle est le ferment des idées post-soixante-huitardes du « retour à la terre » qui agitent toujours quelques consciences écologiques d’aujourd’hui.
Oui, mais dans l’intervalle, avec « l’égalité des places » et « l’égalité des chances », on assiste au grand bouleversement de la modernisation agricole, dont notre vocabulaire porte la trace. Disparition conjuguée des « petits pays » de France (dont le nom s’éteint dans la désignation des nouvelles entités intercommunales), des « horizons ruraux » (par le recours massif au remembrement et à la rurbanisation), et de « l’homme de la glèbe » qui voit par étape son identité évoluer : de paysan (nom si noble qui se fait péjoratif), il devient tour à tour agriculteur, puis exploitant agricole. Les mots comptent : ils disent tant de choses !

Autre information édifiante apportée par le conférencier : la surexploitation a pour corollaire la raréfaction des terres et l’artificialisation galopante des sols. En France, plus de 65000 hectares sont artificialisés chaque année depuis 20 ans… Si l’on examine les chiffres globalement, ils donnent une vision troublante de l’état de la France rurale aujourd’hui. Que reste-t-il de la campagne ? On en fait le compte : la France compte 55 000 000 d’hectares. 4% vont au littoral ; 8 % aux sites artificialisés (industries, infrastructures de transports, services, espaces résidentiels…) ; ajoutez les divers espaces inutilisés ou conservés (parcs nationaux et régionaux, réserves, hauts lieux et grands sites du patrimoine…), les jachères, la forêt. Calculez. Au sortir de cette rapide arithmétique, la campagne nourricière ne représente plus que 55 % du territoire national environ, donc bien moins que les 80 % de l’espace rural dans son ensemble. 

Alors, avec ça, le rural doit se coller aux défis nouveaux de notre temps. La convergence des crises : climatiques, sanitaires, sociales, sécuritaires… impose de satisfaire les exigences contradictoires de la souveraineté alimentaire, de la transition écologique, de la compétitivité des entreprises et du rééquilibrage territorial. Rien que ça ! La tâche est rude. Beaucoup de candidats à la présidentielle (avec beaucoup de nuances entre eux) en ont fait une priorité.
Pour réussir ce pari nécessaire, David Djaïz pense que « l’égalité des droits », « l’égalité des places » et « l’égalité des chances » sont des concepts révolus, inopérants et que le temps est venu d’une ère de coopération innovante entre acteurs des territoires. Pour cela, le nouveau modèle français doit renouer avec les grandes expériences collectives du passé. Petit moment de nostalgie, d’utopie et d’idéalisation mêlés… Et si la campagne nouvelle était celle « des pays, des paysages et des paysans » où s’éprouverait le discret bonheur d’être provincial.

(1) Opération de réflexion prospective du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques 
(2) Normalien, énarque, enseignant en Sciences politiques et ancien Directeur de l'Agence nationale de la cohésion territoriale.
 

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