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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Henri et l'Opéra

Savez-vous que Henri IV, parmi de multiples titres de gloire, a son nom attaché – très indirectement il est vrai – à la grande histoire de la musique ?
Le fait n’est pas très connu, mais il mérite d’être raconté.
Tout commence pour moi par la lecture distraite d’un magazine spécialisé dans la musique classique. Toutefois, une information retient mon attention. Deux lignes perdues au bas d’un article consacré à Florence : « c’est à Florence, en 1600, que fut créé l’Eurydice de Jacopo Peri, considéré comme le premier opéra de l’histoire de la musique, tout au moins le premier dont la partition nous soit parvenue. »
Pourquoi ? Florence … 1600 … Ça ne vous dit rien ?
Il se trouve qu’en 2010, à l’occasion du quadricentenaire de l’assassinat du « bon roi Henri », j’ai suivi, quelques unes des manifestations qui commémoraient de cet événement. Et, entre autres choses, j’avais retenu cette bizarrerie : pour épouser Marie de Médicis, sa deuxième femme, Henri a dû s’y prendre à deux fois !
Rappel des faits : Le roi s'était résolu peu de temps auparavant à répudier Marguerite de Valois (la «reine Margot»). Il avait épousé la  fille de Catherine de Médicis le 18 août 1572, à la veille du massacre de la Saint-Barthélemy (24 août) mais le couple n'avait pu avoir d'enfant et ils s'étaient séparés, menant chacun de leur côté une vie sentimentale agitée. 
Le «Vert-Galant» avait ensuite perdu sa maîtresse Gabrielle d'Estrées, morte en couches le 9 avril 1599. Fou d'amour et en manque d'héritier, il avait été tenté de l'épouser, au grand désespoir de son ministre et ami Maximilien de Béthune, futur duc de Sully.
Le ministre, considérant l'état lamentable des finances du royaume après trois décennies de guerres de religion, préféra conclure pour le roi un mariage d'argent. Il orienta naturellement ses recherches vers la richissime cité de Florence...
Nous y voilà : la nouvelle promise s’appelle Marie de Médicis. C'est une lointaine cousine de l'ancienne régente Catherine de Médicis. A l’appui de cette union, il y a une dot de 600 000 écus, ce qui arrange bien les finances du royaume.
Marie de Médicis et Henri ont 22 ans de différence : 25 ans pour elle, 47 ans pour lui. 
Mais il faut aller vite avant que le pape ne fasse d'objection à ce remariage. L’union est célébrée par procuration le 5 mai 1600 à Florence, où Henri IV ne peut être présent pour des raisons protocolaires. Il est représenté par son grand écuyer, le duc de Bellegarde. 
Un fois mariée par procuration, Marie de Médicis s'embarque en novembre 1600 pour Marseille et rencontre le 4 décembre 1600 son royal époux à Lyon où le mariage est enfin consommé (à la satisfaction mutuelle des deux époux semble-t-il). L'union est solennisée par une messe célébrée en la cathédrale Saint Jean de Lyon le 16 décembre suivant par le légat du pape.
Voici donc notre mariage en deux temps.
Mais revenons-en à la première cérémonie, celle qui se déroule à Florence. 
Bien que le fringant époux soit absent, on ne fait pas les choses à moitiés chez les Médicis : on donne à cette occasion des fêtes « telles qu’on n’en avait jamais vues jusque là », aux dires des chroniqueurs. Pendant cinq jours, banquets, spectacles, concerts, chasses, joutes, feux d'artifice et parades se succèdent. 
Et c’est bien durant ces fêtes extraordinaires qu’est donné l'Eurydice de Jacopo Peri, le premier opéra de l’histoire de la musique.
Opéra, ça veut tout simplement dire « œuvre » en italien. Pour faire simple, l’opéra est un drame lyrique, c'est-à-dire une histoire racontée en musique. 
L'Eurydice de Peri est une pastorale dramatique, entièrement chantée, dans un style nouveau, le stile rappresentativo ou style monodique.
D'un point de vue musical, l'Eurydice met en place de nombreux codes qui seront les règles de l’opéra durant les quatre siècles à venir. Notamment, il introduit la succession des parties en solo lyrique, en duo et en chœur. Il alterne aussi des passages dramatisés auxquels correspond un phrasé plus ou moins chanté, ce qui va du langage parlé normalement à l'aria en passant par le récitatif. 
De même, la complexité des harmonies et le nombre d'instruments en jeu ont un sens du point de vue dramatique : ils sont liés à une situation particulière qu’ils décrivent ou évoquent. Par ailleurs, chaque personnage semble avoir, en plus de sa tessiture de voix, une base harmonique qui lui correspond, et sur laquelle vient s'ajouter la tonalité particulière de chaque scène. On note enfin déjà des audaces musicales, comme le recours à des exclamations arythmiques, à la dissonance, ou à des extravagances burlesques de la basse.
Mais la postérité qui est mauvaise fille se détourne de Jacopo en dépit de toutes ses innovations et intuitions géniales pour s'intéresser à un autre compositeur qui va produire une oeuvre très proche de ce premier opéra. Très proche dans le temps : 1607 ; très proche dans l'espace : Mantoue où elle est créée se trouve à 200 kilomètres de Florence ; très proche surtout par le thème. Il s’agit de l'Orféo de Claudio Monteverdi.
Orphée et Eurydice c’est la même histoire … Orphée est un personnage de la mythologie grecque. Musicien magique, il parvient, par les accents de sa lyre, à charmer les animaux sauvages. Il aime tendrement sa femme, la douce Eurydice. Mais celle-ci a la mauvaise idée de se faire mordre par une vipère ; elle meurt et descend au royaume des enfers. Toujours grâce à la magie de sa musique, Orphée arrive à convaincre le dieu Hadès de faire remonter Eurydice dans le monde des vivants. Hadès pose toutefois une condition : lors de la remontée, Eurydice suivra Orphée, mais celui-ci ne devra, en aucun moment, se retourner ou lui parler … 
Vous devinez la suite : Orphée n’y résistera pas et, juste avant de sortir des Enfers, il se retourne pour s’assurer qu’Eurydice est bien là, derrière lui et, à peine l’a-t-il aperçue qu’elle s’évanouit à sa vue et disparaît pour toujours. Bien joué !

Si l’opéra de Peri est le premier de l’histoire de la musique chronologiquement, celui de Monteverdi est considéré comme le premier chef d’œuvre de ce genre nouveau.
Et comme je ne sais pas résister au premier oxymore qui passe, je vous propose pour conclure une ouverture : voici donc, pour illustrer musicalement cette chronique royale, l’ouverture de l'Eurydice Jaccopo Peri. 


https://www.youtube.com/watch?v=WHMJgGE5Doc

 

 

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