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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Les verts pâturages

Ceci est une vieille histoire...

De tout temps, les bergers des vallées de Barétous et de Roncal se sont entendus pour régler les problèmes de pâturage et d’usage de l’eau sur les hauts-plateaux du massif de la Pierre-Saint-Martin. Dans cette zone calcaire, les sources sont rares et l’eau précieuse.
Mais un jour, ce fut le drame …
Pedro Carrica, berger d’Issaba, et Pierre Sansoler, berger d’Arette, se retrouvent tous deux avec leur troupeau près de la fontaine du Pic d’Arlas … La journée était très chaude, les bêtes étaient assoiffées … Au lieu de s’entendre, les deux hommes se disputent, en viennent aux mains … Et Pedro Carrica, d’un coup de couteau, tue Pierre Sansoler.
Le cousin de la victime, Angurar Sansoler, se lance à la poursuite du meurtrier mais ne peut le rattraper. Il descend dans la vallée, alerte les autorités, puis réunit une petite troupe d’amis et de voisins …
Les voilà partis pour se faire justice eux-mêmes. Ils ne retrouvent pas Pedro Carrica qui a pris le maquis … Ils décident alors de s’en prendre à sa femme, Antonia, qui était restée dans sa maison du quartier de Belagua. La chronique espagnole est précise : « ils lui ouvrirent le ventre et pendirent l’enfant, à la branche d’un hêtre, avec les entrailles de la mère. »
Pedro, alerté par les voisins, revient et, avec tout le village, contemple, effrayé, le terrible spectacle.
Aveuglé par la douleur, il monte aussitôt une expédition punitive dans l’autre sens. 
A Arette, Angurar Sansoler fêtait, en buvant et en chantant, sa vengeance avec les membres de sa troupe et le reste de sa famille. Les Roncalais enfoncèrent la porte. Pedro s’adressa à la femme d’Angurar qui tenait son enfant dans les bras : « je pourrais te tuer et tuer ton enfant, comme ton mari l’a fait ; mais je ne le ferai pas. Choisis un homme, je lui laisserai la vie sauve pour qu’il puisse prendre soin des morts ! ». 
La femme désigna son père. Tous les autres furent massacrés.
Mais une servante qui avait vu la scène, ameuta les gens du village. Ceux-ci aussitôt s’organisèrent, et se postèrent à un endroit, le col de Suscousse, où ils savaient que les Espagnols passeraient … Tous furent tués « dans le silence et dans la nuit » !
Une guerre implacable entres les deux vallées s’ensuivit. Les villages perdaient des hommes et les troupeaux étaient livrés à eux-mêmes …
Les autorités civiles et ecclésiastiques des deux versants se réunirent pour mettre fin à ce véritable suicide collectif. Le procès qui s’ensuivit fut défavorable aux Béarnais. Ils furent condamnés « à payer et à livrer annuellement à la vallée de Roncal trois vaches génisses de deux ans, sans tâche, ni macule, laquelle délivrance sera faite, chaque année, le quatrième jour après la fête des Sept-Frères à la Pierre Saint-Martin .»
Ce jugement fut complété par des dispositions réglant ce qui était à l’origine du conflit, à savoir cette affaire d’herbes et d’eau.
Depuis, tout va bien.
C’était en 1375. Et, pour la 631ème fois cette année, le quatrième jour après la fête des Sept-Frères, c'est-à-dire le 13 juillet, les maires de Vallée de Barétous ont livré aux alcaldes de la Vallée de Roncal, les « trois génisses de deux ans, sans tâche, ni macule ».
En six siècles, la cérémonie a subi quelques petits changements, mais l’essentiel est toujours là. Les bergers de Barétous pourront faire pacager et boire leurs troupeaux sur les plateaux de la Pierre-Saint-Martin.
On dit que c’est le plus vieux traité d’Europe en vigueur.
Il y a, au passage du col de Suscousse, un tas de pierre que les barétounais appellent « lou cemitèri dous micalets ».
 

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