CAQUETAGES

Comme chaque dimanche à midi, Louise attend son amie Félicia à la Brasserie du boulevard. L’une est célibataire, l’autre abandonnée.  Elles veillent toutes deux à respecter ce rendez-vous dominical, rituel utile qui les préserve. Leur solitude n’est pas un esseulement.
Mais Félicia ce dimanche-là est en retard. Louise ne s’en inquiète pas, elle sait son amie adepte du temps élastique. Elle refuse de porter une montre et affirme qu’il lui est suffisant de surveiller le soleil. Alors Louise commande un verre de vin blanc et, saisissant le journal qui traîne sur le comptoir, entreprend la lecture systématique des faits divers, ces faits bien réels qui font diversion.
Les deux femmes se ressemblent peu. Louise a souvent un regard désespéré, comme un cri étouffé. Félicia est exubérante. Très exubérante et bruyante.
Là où Louise semble s’être résignée à habiter silencieusement le monde, Félicia se dissimule efficacement derrière ses bavardages. Après avoir longuement étiré son histoire, s’appuyant sur les menus détails, empruntant les sentiers tortueux et infinis de multiples digressions, elle s’arrête d’un coup, semblant avoir épuisé toute son énergie, et se résigne alors à faire semblant d’écouter son amie.