Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Adam et Ève du septième

On pourrait croire le septième ciel tant ils étaient fraîchement amoureux. Mais, ces Adam et Ève là, leur septième ciel, c’est le septième étage de l’un des encombrants barreaux d’immeubles qui cernent la friche Laherrère. Les voilà désormais confinés tous deux, tous seuls, tout là-haut. Et c’était imprévu.
Passées les premières heures d’exaltation, consacrées à façonner, orner, bichonner leur paradis de béton, leur destin d’amants perdus et éperdus se momifia un peu. Ils eurent beau faire, se prouver souvent, très, très souvent – quitte à se forcer parfois – la puissance de leur amour, la morosité guettait. 
Adam en prit son parti. Il s’accommoda, sans trop de chagrin, de l’étiolement de son univers quotidien, rabougri jusqu’à n’avoir pour seul horizon que les objets familiers de la vie ordinaire et le corps  - le très beau corps d'Ève - qu’il trouvait il y a deux semaines à peine admirable paysage et qui aujourd’hui le laissait sans émerveillement.
Le regard d’Adam était devenu sec. 
Celui d'Ève est tout autre. Cette fille est une douce, mais très obstinée rebelle. Elle est dotée de cette capacité d’évagation, si souvent décriée, qui fait qu’elle ne regarde pas ce qu’on lui demande de regarder et que ses yeux fixent des ailleurs que les autres ne voient pas. Cette aptitude à capter ces petits « je-ne-sais-quoi »,  ces « pas-grand-chose », ces « presque-rien » font qu'Ève habite poétiquement la vie.
En dehors de leur penchant pour les émois charnels, Adam et Ève ont aussi en commun un rendez-vous quotidien. Oh, pas le même ! Pour Adam, c’est le journal de 20 heures sur France 2 présenté par Anne-Sophie Lapix. Il trouve cette femme très belle et très excitante.  Ève, quant à elle, est pile-poil à 20 heures aussi, présente au rendez-vous des balcons. Elle applaudit, elle crie, elle siffle, elle met de la musique, elle chante… Tiens, samedi, elle a chanté à tue-tête « Douce France » de Trénet. De là où elle est se trouve, la végétation lui cache la rue. Elle ne voit rien que du vert et comme l’immeuble d’en face est semble-t-il désert, elle n’entend que l’écho des autres… Mais c’est bien quand-même. Cependant, en se penchant beaucoup, Ève peut apercevoir le haut d’une petite maison jaune, de l’autre côté du terrain vague. C’est loin, très loin. A la fenêtre du dernier étage, il y a une silhouette qui crie et tape sur un tambourin. Ève agite les bras pour lui faire des gestes de complicité ; la silhouette agite aussi les bras en réponse… Hier, Ève a découpé hâtivement une carte dans du papier Canson orange. Elle a fait un dessin dessus avec des feutres, comme un dessin d’enfant, et écrit un petit mot : « Toi, que je vois tous les jours de ma fenêtre, je voulais te dire à quel point je te trouve beau avec tes mille mains vertes et jaunes. L’impression d’être sur une île paradisiaque. Mille mains que tu tends pour attraper le ciel. Merci, merci. « Mon » arbre aux mille mains. ». En allant chercher le pain, Ève est passée près de la maison jaune. Elle a mis sa carte dans la boite aux lettres sur laquelle aucun nom ne figurait. Lorsqu’elle a raconté cette histoire à Adam, celui-ci s'est beaucoup agacé comme s’il était jaloux. Ève décida alors de s’en amuser.
Ce soir-là, à 20 heures pétantes, Adam s’installa devant la télé et Ève se mit au balcon. 
« Oh ! dit-elle, quelle surprise, viens vite, d’ici, je vois très bien Anne-Sophie… Adam arriva aussitôt. 
– Où ça ? fit-il 
– Là, tout en haut de l’arbre, la pie. Elle vient parfois s’y poser. J’ai décidé de l’appeler Anne-Sophie : Anne-Sophie La Pie. C’est drôle hein ? 
– Tu m’emmerdes avec tes conneries ! 
– Oui, mon bel Adam, je le sais, mon calembour est lamentable, mais je l’aime bien car, sache-le (si nous vivons longtemps ensemble, il faudra bien t’y faire), je ne renonce jamais à un calembour, surtout s’il est mauvais. Et celui-là, il me plait d’autant plus qu’il m’autorise un petite chicayerie : retourne te vautrer dans ton fauteuil de beauf à bader ton si blond et si basque idéal féminin qui va te susurrer à l’oreille toutes les misères du monde. Elle vaut bien mieux que moi. »

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article