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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Eloge de Pinocchio

« Les mensonges, mon garçon, se reconnaissent tout de suite, explique la Fée Bleue, car il n’y en a que de deux espèces : il y a les mensonges qui ont les jambes courtes, et les mensonges qui ont le nez long. 
Pinocchio : Mon nez ! Qu’est-ce qu’il a mon nez ?
La Fée Bleue : Peut-être m’as-tu menti tout à l’heure, Pinocchio.
Pinocchio : Mais je le jure ! Je n’ai dit que la vérité…
La Fée Bleue : Vois-tu Pinocchio, c’est ainsi qu’un mensonge grandit, grandit jusqu’à ce qu’il se voit comme le nez au milieu de la figure. » (1)
Pourquoi me vient en mémoire ce dialogue ? C’est que nous approchons à grand pas du temps des « plaisants causeurs » qui vont occuper tribunes et plateaux (2). Au spectacle de leurs causeries répétés, nous serons nombreux à veiller à l’allongement de leur nez, tant la confiance dans la parole publique s’est érodée (3). Certains - le plus désabusés - entonneront le refrain mille fois rabâché : « Des menteurs ! Des menteurs ! les politiques sont tous des menteurs !... » On est là dans le domaine de l’idée reçue, qui, par son outrance, rend ce jugement irrecevable. Mais pourtant ? S’il y avait un peu de vrai ?

Disons-le tout net : en démocratie, la politique est consubstantielle au mensonge. 

En dictature, on se soucie bien peu de vérité. Héritage pesant des totalitarismes du XXème siècle qui, tous, ont consacré un leader maximo (Hitler, Staline, Mao…) dont les dires étaient « paroles d’évangile » Mais en démocratie, les choses ne vont pas ainsi : l’art politique s’y résume en deux phases : la conquête et à l’exercice du pouvoir. Or, pour conquérir le pouvoir, il faut gagner les élections ce qui exige, pour arriver à ses fins, de développer une stratégie de séduction de l’électorat. Pour séduire (en politique comme en amour), il faut se présenter sous son meilleur jour, quitte à gommer ses défauts, à exagérer ses vertus, à dissimuler quelques parties sombres et de vieilles lunes inavouables ; il faut aussi, et surtout, discréditer à tout va son concurrent… Bref, pour séduire il faut savoir mentir, mentir, et mentir avec brio. Ensuite, lorsque vient le temps de l’exercice du pouvoir, pour durer et parvenir à agir, le mensonge est également nécessaire. Il y eut parfois, dans notre histoire républicaine, le rêve fou de ceux qui voulaient « parler vrai ». De Mendès-France à Rocard, leur ambition de vérité s’est fracassée sur la dure réalité du combat politique et ils n’ont été que des météores au sommet de l’Etat.

La leçon de Machiavel vaut toujours : « Chacun entend assez qu’il est fort louable à un prince de tenir sa parole et de vivre en intégrité (…) Néanmoins on voit par expérience que les princes qui (…) ont fait de grandes choses n’ont pas tenu grand compte de leur parole, qu’ils ont su par ruse circonvenir l’esprit des hommes, et qu’à la fin ils ont surpassé ceux qui se sont fondés sur la loyauté. » Hanna Arendt enfonce le clou : « la véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires publiques. » Alors, pour gouverner, on ment, on ment, on ment…

Parfois c’est scandaleux et pathétique comme Trump qui, pendant sa mandature, par démagogie, cynisme, populisme ou incompétence, n’a cessé de mentir … D’autres fois, c’est tout simplement dérisoire comme dans l’épisode de la « vraie-fausse pénurie » de masques du début de la pandémie. Macron et son gouvernement nous ont alors livré une brillante interprétation de « communication Pinocchio ». Comme dans l’histoire du petit pantin, le mensonge a appelé le mensonge. Pris en défaut mais englués dans le refus de reconnaître l’évidence, Édouard Philippe, Olivier Véran, Jérôme Salomon, Sibeth N’Diaye… se sont enlisés dans une surenchère d’arguments, jusqu’à marteler l’inutilité des masques et l’incapacité des Français à en faire bon usage. Le mensonge a été ici un réflexe de défense pour cacher le manque de préparation et l’absence d’anticipation de l’Etat. 

Pour être honnêtes, les contempteurs des politiques devraient élargir le cadre de leur cible pour s’écrier ! « Des menteurs ! Des menteurs ! Nous sommes TOUS des menteurs ! » Les petites et grosses « menteries » sont notre lot quotidien (une étude prétend que nous mentons en moyenne cinq fois par jour). Nous mentons continûment par bassesse, par politesse, par volonté de manipulation… Si nous nous sommes si bien accoutumés au mensonge, c’est que, de toutes les mauvaises actions, c’est la plus facile à cacher et celle qui coûte le moins cher à commettre. Pourquoi Pinocchio ment-il ? Parce qu’il pense que c’est plus simple. La vérité lui paraît trop compliquée. Mentir ou dire la vérité, l’intention est la même : obtenir des autres ce que l’on désire.

L’histoire de Pinocchio reproduit plaisamment la controverse qu’avaient développée en leur temps (18ème siècle) Emmanuel Kant et Benjamin Constant. Pour le premier, dire la vérité était un devoir moral absolu ; pour le second, le mensonge était un mal nécessaire. Il éclairait ce « droit de mentir par humanité » par un exemple frappant : « Envers des assassins qui vous demandent si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas refugié dans votre maison, le mensonge n’est pas un crime, et même c’est la sincérité qui en serait un ». La période de l’Occupation, avec ses traques aux Juifs et aux résistants, a montré à quel point le mensonge pouvait être vertueux et la vérité haïssable.

(1) « Les Aventures de Pinocchio » de Carlo Collodi
(2) Elections présidentielles : 10 et 24 avril 2022. Nous sommes d’ores et déjà en campagne.
(3) Résumé de l’enquête CEVIPOF (Science Po) sur la période 2009-2019 : L'état d'esprit sombre qui caractérise cette décennie marque un rejet net des politiques : 79 % de sentiments négatifs.
 

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