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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Au plaisir des vieux

(Chronique parue dans la République des Pyrénées, le 25/02/23)

Comme il arrive souvent, on jauge les événements à l’aune de sa propre histoire.
A la bascule de mon adolescence, on a commencé à me seriner ce lancinant refrain : « Tu vas avoir ton bac… Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » S’ensuivaient des conseils, certainement pertinents, que je faisais semblant d’entendre mais que je n’écoutais pas. On m’a même servi quelques séances chez une conseillère d’orientation que je trouvais fort laide.

Qu’ai-je retenu de tout ça ? Peu de choses si ce n’est deux trois singulières recommandations qui m’étonnent encore aujourd’hui, mais ça devait être l’air du temps : « Choisis un boulot de fonctionnaire, tu auras la sécurité de l’emploi. » ; « Dans la gendarmerie, tu pourras prendre une retraite proportionnelle après 15 ans de service, c’est un avantage appréciable. » ; « Être instit, c’est pas mal non plus, on peut partir à 55 ans… » Pour la première fois, je crois, j’entendais le mot retraite, ce mot étrange qui m’était totalement étranger. Jamais, je n’avais imaginé que ce mot pouvait me concerner. (1)
Cette cavalcade de d’injonctions et de recommandations était suivie par l’implacable constat : « Il faut que tu penses à tout ça, les choses sérieuses pour toi commencent maintenant. »

Moi, sérieux ! À cette époque j’étais tout sauf sérieux. J’avais fait mienne l’incantation rimbaldienne : « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade… » Tiens pour un petit plaisir coupable, je vous en livre un extrait :
« Dix-sept ans ! – On se laisse griser / La sève est du champagne et vous monte à la tête… On divague ; on se sent aux lèvres un baiser / Qui palpite là, comme une petite bête… » (2) 
Tel était mon état d’esprit de l’époque. Bien sûr, je n’ai convaincu personne : ni le père, ni la mère, ni quelque éducateur que ce soit. Et j’en étais fier, j’exerçais alors avec talent, le très contestable métier de dilettante. 

Voilà qui nous ramène à aujourd’hui.

Dans les cortèges de protestation contre la réforme des retraites, on entend beaucoup de choses et on n’est pas à un paradoxe près. Et certains sont surréalistes.
Le plus étonnant, c’est cette mutation des valeurs : l’insouciance et la sagesse ont changé de camp. Avant, on considérait que l’une était l’apanage de la jeunesse et l’autre, une vertu de la vieillesse. Dans les manifs de ce début d’année, tout est inversé : on voit les juniors pragmatiques et les seniors utopistes…
On peut y entendre Selma (15 ans) déclarer : « Je vais commencer à cotiser plus tard. Je n'ai pas envie de me retrouver à ne plus pouvoir marcher, à ne plus pouvoir rien faire, et de devoir aller au travail le matin… Tous les jours, il y a des accidents du travail, il y a des burnouts, des gens qui travaillent trop… nous, on pense à l’avenir et on ne veut pas de cette vie-là ». On peut y voir aussi, cet homme chenu, qui brandit un panneau où il a hâtivement griffonné : « Tu nous mets 64, on te RE-MAI-68 ! ». Comme je m’étonne, il me répond : « En ce époque, l’utopie était au pouvoir. J’ai ai la mémoire. On disait : « Soyez raisonnable, demandez l’impossible »… A l’âge que j’ai, c’est-ce que je veux pour moi » – « Quel âge tu as ? » – « J’ai l’âge du temps qu’il me reste à vivre… Alors tu, vois, ça urge camarade ! »… Il réfléchit un moment, puis ajoute : Et il y avait un autre slogan, encore plus utopique, qui me secouait les neurones : « Jouissez sans entraves ! » Mais ça, c’est devenu problématique. J’en suis au stade où madame fait semblant de vouloir et monsieur fait semblant de pouvoir… Alors, je ne vais tout de même pas défiler en gueulant « Le Botox pour tous ! » et « Vive le Viagra ! » Ça ferait mauvais genre, style vieillard libidineux.

Au fil de micro-conversations de manif, surgit une évidence : la vieillesse est en danger. Non, ça ne veut pas dire qu’il est dangereux d’être vieux – on meurt si souvent de ça ! – mais c’est l’idée même de vieillesse qui est en péril. On ne parle que de « jeunisme » et « d’utilitarisme économique » (quel gros mot !). Que craint-on ? Que le peuple grandissant des tempes grises, rechigne à l’assignation à résidence dans l’ombre et dans l’invisibilité. « Avant on était jeunes, disent-ils, maintenant on joue à être jeunes. Tout leur potentiel d’hypocrisie est mobilisé pour nier cette fatalité. 
Je cherche quel événement personnel fait que d’un coup, on a cette révélation : Je suis vieux… On ne l’était pas encore il y une heure, désormais on l’est. Ce seuil est souvent imperceptible, mais il existe et remplit fidèlement sa mission de basculement. Alors, avec tout l’enthousiasme de la nostalgie, on tente pathétiquement d’en tirer le meilleur.
« Il existe parfois, au plus fort de l’automne, des éclats de printemps qui consolent de la mélancolie des crépuscules. » (3)

(1) Et je ne suis pas le seul. En novembre 2019, lors d’une réunion de concertation sur la réforme des retraites au Parc des expositions à Pau, le premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, qui était de la partie,  a fait cette surprenante confidence : « Jamais, jamais avant 20 ans, je n’ai pensé à la retraite ! »
(2) Arthur Rimbaud – Roman
(3) Pascal Bruckner – Philosophie magazine n° 155
 

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