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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

L'impénitent confessionnal

Cette histoire navrante pourrait sembler d’un autre temps… Certes, on en trouve des versions semblables dans les Contes de La Fontaine et le Décaméron de Bocace, mais celle-ci n’est pas si lointaine. Elle aurait pu être celle de mes aïeux directs, mais ce n’est pas eux qui en sont les minuscules héros. Mon grand-père et ma grand-mère n’avaient pas les dispositions pour cela. Ils étaient libres, mutuellement aimant, confiants l’un dans l’autre, et surtout, tous deux anticléricaux, anticléricaux en diable si l’on peut dire. Or, cette histoire exige pour exister de la perversité, pas mal de malice, beaucoup de crédulité et une grosse dose de bigoterie. Toutes qualités réunies dans ce couple que formaient Pauline et Julien, au début du XXème siècle dans cette petite ville du Nivernais. Dans ces pays-là, à cette époque-là, l’us est le patriarcat le plus sévère. Il s’ensuit que lorsque la femme est avenante – c’est le cas de Pauline – et que le mari doit s’absenter, éclosent sans tarder dans le ménage les fleurs fétides de la frustration et de la jalousie.
Or, il advint que, très vite après leur mariage de Julien et Pauline, se déclencha la Grande guerre. Le mari, homme encore jeune et fringant, fut mobilisé pour combattre les Allemands à Verdun. Par miracle, il ne fut ni tué, ni blessé, mais fait prisonnier. Il passa ainsi trois ans de sa vie interné dans un camp de détention de l’autre côté du Rhin. Durant cette longue période de séparation, les deux époux correspondirent par courrier. Lui, dans ses lettres ne marquait guère d’impatience de retrouver Pauline, mais il s’inquiétait beaucoup de la marche des affaires (il tenait une boutique de vêtements et de tissus) et, surtout, en mots très durs, exigeait de sa femme qu’elle lui restât fidèle. Pauline, fine mouche, agacée par la suspicion obsessionnelle de son mari, lui répondait en donnant le détail des ventes du mois, mais ne disait rien, absolument rien, de ses infidélités éventuelles. Alors, un jour, à bout de patience, Julien se décida à faire quelque chose qui ne se fait pas, car contraire aux règles convenues. Mais, comme il se trouvait que le curé de la paroisse était un ami d’enfance, il pensa qu’il pouvait passer outre. Il écrivit alors une courte lettre au curé dans laquelle il lui fit part de ses doutes sur le comportement vertueux de sa femme et lui demandait, pour calmer ses inquiétudes si, à confesse, Pauline avait demandé pénitence pour des actes de cocufiage.
Rappelons, en quelques mots, l’importance que revêt, dans les sociétés sous emprise catholique, le confessionnal. Ce mobilier a, pour les fidèles, une valeur sacrée, au même titre que l’autel et les reliques, lorsqu’il y en a. Ce lieu clos, qui garantit l’anonymat du pénitent se trouve, le plus souvent, dans un endroit discret : c’est là que le croyant, à l’abri des regards, à rendez-vous avec Dieu pour Lui confier ses inconduites et, à l’aide de quelques prières bien senties, réclamer un pardon qui permettra de retourner, la conscience en paix, vivre sa vie ordinaire de bon chrétien.
Pauline allait très souvent à l’église. Les jours où il y avait messe, bien sûr, mais aussi au hasard d’une promenade. Elle avait coutume de se recueillir quelques instants dans la nef et, de temps en temps, prenait le parti de s’isoler dans le confessionnal, même lorsque le prêtre n’était pas là. 
La lecture de la lettre de Julien avait émoustillé le curé. Aussi, il se mit à guetter  Pauline. Un jour, lorsqu’il la vit entrer seule dans l’église,  il la suivit et une fois à l’intérieur, s’apercevant qu’elle était seule dans le confessionnal, il s’installa à sa place de confesseur. Il écranta le grillage et dit : « Parlez ma fille, parlez sans crainte, dites-moi vos péchés, tous vos péchés – et il insista sur le tous de tous vos péchés – pour que je puisse libérer votre esprit et vous ordonner pénitence… » Pauline murmura une confession, mais le curé ne semblait pas s’en satisfaire : il insista, insista, insista… disant : « Ma fille, vous êtes encore jeune et jolie… les hommes sans doute doivent vous tourner autour – c’est l’humaine condition – avez-vous toujours su résister… »
Au bout de la troisième fois, Pauline, trouvant que l’empressement du confesseur était suspect, décida de s’en amuser et elle lui dit, toujours à voix feutrée : « Mon père, vous avez raison, les hommes sont insatiables et je vois bien qu’il en est qui n’ont de cesse que de parvenir à me butiner… Il m’est arrivé parfois… » et brusquement elle se tait, cessant tout net sa confession. Le curé n’en peut plus, il exige d’en savoir plus. Alors, après une longue inspiration Pauline se décide à poursuivre : « Voyez-vous mon père, chaque fois que j’ai une tentation, je mets une allumette de côté, mais lorsque la tentation se fait tentative, je mets aussi une allumette de côté, mais celle-là en l’ayant brûlée… »
Le lendemain de ces troublants aveux, le curé trouve sur la table de la sacristie, une large boite en carton remplie d’allumettes. Il s’empresse de fouiller pour savoir s’il y a des allumettes brûlées, mais il n’y a qu’un petit papier sur lequel Pauline a écrit : « Commencez à compter les allumettes, monsieur le curé, demain je apporte toutes les autres. »
Dépité, le curé, fit part de cet épisode grotesque dans une lettre adressée à son ami Julien. A la lecture de celle-ci, Julien après un premier mouvement de colère devant l’impertinence de sa femme Pauline, choisit ensuite d’en rire. Jaune.
 

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