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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Le puits qui disait des mensonges

Il a fallu attendre longtemps, très longtemps pour que l’Émile de Rousseau pénètre des consciences embrumées par la certitude que coercition et crainte étaient les valeurs cardinales de la bonne éducation. On chantait sans vergogne Les Myrmidons de Béranger : 

Mironton, mirontaine,
Prends l'arme de ce héros ;
Puis, en vrai croquemitaine,
Tu feras peur aux marmots…

Égrener les noms de tous les croquemitaines qui, par nos régions, étaient en charge de calmer les ardeurs impertinentes des bambins en proie aux vertiges doux de la désobéissance, forme une musique amère, une poésie de l’effroi : Nòchtgròbbe, La Vouivre, Mère-en-Gueule, Ar Grec'hmitouarn, Barbaou, Vieille Chabine, C'hwiteller-noz, Mère Tire-Bras, Le Craqueuhle, Picolaton, Marie Grouette, Le Père la Pouque, La Bête Havette, Père Michel l'égorgeur, Le Lébérou, Totoya, La Ganipote, La Chabinelle, Camuchech, Garamiauta, Cambacrusa, Mâchecroute, Rafagnaoude…
Dans une petite citée de Guyenne, il se trouve que le croquemitaine du lieu se nommait Rampono (ou Ramponneau pour les lettrés). Et c’est ce Rampono qui est au cœur de notre tragique histoire d’amours infantiles.

Depuis la maternelle Léo et Léa s’aiment en secret. Dès qu’ils sont à l’abri des regards, ils se tiennent par la main se font des bisous, des gentillesses. Ils font, avec obstination, le lent apprentissage du plaisir d’aimer et d’être aimé.
Un jour Léo raconte à Léa une découverte : la veille, il s’était approché d’un vieux puits situé en marge de hameau et s’était penché par-dessus la margelle pour tenter de voir le fond.  Son père qui passait au près remarque la manœuvre de son fils. D’un bond, il se place derrière lui et le tire violemment en arrière : « Mais ne te penches surtout pas au-dessus de ce puits, boudiou,  non seulement tu pourrais tomber, mais surtout, et l’affaire alors serait sans appel, tu te ferais dévorer par Rampono ! » Interloqué, Léo interroge du regard son père qui lui explique : « Au fond de ce puits vit un monstre sanguinaire, à la fois homme, bête et démon qui se repaît de tout ce qui passe à sa portée… Tiens, écoute sa voix terrible quand on le dérange…  Le père prend alors Léo par la taille et, le tenant fermement, l’engage tout entier dans la tête du puits et pousse un cri bref. Deux secondes après, l’écho, venu du fond du puits, renvoie, en l’amplifiant, le son de la voix du père, transformé en un long hurlement lourd, sonore, puissant comme un coup de tonnerre qui n’en finit jamais de vibrer… « Tiens, voilà, Léo, tu vois bien qu’il est là Rampono ! Alors, ne te penche plus jamais au-dessus du puits. » 
Lorsque Léo fit part de son aventure à Léa, celle-ci, lui dit aussitôt : « Moi aussi, je veux voir… moi aussi, je veux entendre Rampono ! Amène-moi ! » Bravant sans hésitation les interdits de son père – son amour pour Léa était si puissant – Léo conduisit sa petite amoureuse au bord du puits. Là, pendant longtemps, ils s’amusèrent à crier et à attendre le retour rageur de l’écho. Puis, un moment Léa dit à Léo de se taire et d’écouter. Elle se pencha au-dessus de la margelle et, au lieu de crier, elle murmura simplement : « Léo, je t’aime. » et Rampono, avec une voix étonnamment douce répondit simplement un « aime…aime…aime… » qui virevolta longtemps avec de s’éteindre. Le garçonnet en fut tellement ému qu’il se mit à pleurer et la fillette dut employer force bisous et caresses pour le réconforter. Depuis ce jour-là, le  maléfique et effrayant Rampono devint le confident de leurs émois.
Mais quand vint le temps de l’adolescence et de ses métamorphoses, le vert paradis des amours enfantines de Léo et Léa commença à se troubler. Imperceptiblement la jeune fille qui voyait avec fierté poindre par endroits de légères toisons et éclore en harmonie hanches rondes et nichons commença à se détacher de ce garçon au visage devenu anguleux, bien ingrat avec ses boutons d’acné et ses trois poils drus au menton. Elle oublia bientôt Rampono et se moquait de Léo qui allait, tout seul désormais, lui faire ses confidences.
Quand Léa est partie faire ses études dans la grande ville, elle dit simplement à Léo, avec une méchante ironie : « Maintenant, si tu veux me retrouver, va-t’en chez Rampono ! » 
Seul, désemparé, sans aucune nouvelle de cette fichue gamine qui lui encombrait toujours l’âme, Léo faisait tous les jours le pèlerinage du puits.  L’imagination aidant, il lui semblait que Rampono traduisait, par ses échos, toutes ses désespérances en promesses de jours heureux. Quand il disait au puits « La reverrais-je ? », Rampono répondait « Au printemps Léo, au printemps… » Un jour, Léo lui demanda « Où est-elle ? » et Rampono, fieffé menteur, répondit « Elle est là, elle est là… »  Au comble de son trouble amoureux, Léo prit à la lettre les propos de l’écho et il se jeta dans le puits pour retrouver Léa.
 

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