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Des humeurs et des jours

Anachroniques contemporaines

Le paradoxe du pardon

 

27 mai 2021. Dans son discours au Mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de 250 000 des plus de 800 000 victimes de l’un des drames les plus meurtriers du XXe siècle, Emmanuel Macron, est venu « reconnaître [les] responsabilités » de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. La France « n’a pas été complice », mais elle a fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité ». Ce discours, salué pour sa haute tenue, a toutefois provoqué des réactions contrastées. Certains estiment  qu’il n’en dit pas assez : « On s’attendait à ce qu’il présente clairement des excuses au nom de l’Etat français. Il ne l’a pas fait ! » (association de victimes) ;  et d’autres pensent qu’il en dit trop : « La France se flagelle pour des fautes qui ne sont pas les siennes… par une repentance perpétuelle qui ne satisfait personne » (Marine Le Pen).

Dans les autres commentaires, beaucoup de mots se bousculent dont les sens s’enchevêtrent. C’est un véritable méli-mélo : repentir, regrets, remords, aveu, reconnaissance, résilience, oubli, culpabilité, amertume, ressentiment… Et l’on évoque les actes de repentance (1) du passé : En 1995, Jacques Chirac, à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, déclarait : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Plus tard, Lionel Jospin, lors d’une cérémonie officielle à Craonne réhabilitait la mémoire des mutins de la bataille du « Chemin des Dames » qui avaient été fusillés pour l’exemple.

Mais qu’a dit vraiment Macron ? : « … Ces paroles convoquent un insondable silence. Le silence de plus d’un million d’hommes, de femmes, d’enfants, qui ne sont plus là pour raconter cette interminable éclipse de l’Humanité, ces heures où tout s’est tu. Elles nous racontent la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais. Une course sans arrivée et sans espoir, une traque implacable qui reprenait chaque matin, chaque après-midi, dans une terrible et banale répétition du mal… » Suit une très belle conclusion où il reformule à sa manière la dialectique du Mal et de son pardon : «Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner». Le pardon, le voilà le maître-mot, celui qui porte en lui la dure loi humaine. Pour l’illustrer, je voudrais vous dire deux destins de femmes. Tous deux tragiques.

L’écrivaine Scholastique Mukasonga est fille du Rwanda. Il y a trois ans, elle était de passage à Pau. La folie génocidaire a emporté, en 1994, 37 membres de sa famille. Ses livres sont des tombeaux de papiers : « Maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton corps et je n’ai plus que des mots pour accomplir ce que tu avais demandé. Et je suis seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur la page du cahier, tissent et retissent le linceul de ton corps absent ». Abasourdi par son récit, je vais à sa rencontre et je lui demande si le pardon, pour elle, est envisageable. Elle me répond : « Mon pardon, c’est de vivre… Mes morts sont avec moi… c’est pour eux que je vis. »

La photo d’une petite Vietnamienne, courant nue sur la route en hurlant sa douleur, a laissé une empreinte indélébile. Elle symbolise la guerre du Vietnam. C’était en couverture de “Life Magazine”, en 1972. Son auteur, Nick Ut, avait alors obtenu le prix Pulitzer. Vingt-cinq ans plus tard, lors d’une cérémonie pour célébrer ce prix, une jeune femme prend la parole : « Si je pouvais retrouver l’homme qui a bombardé mon village, je lui dirais que nous ne pouvons pas changer le passé mais que nous devons faire de notre mieux pour pardonner au présent et promouvoir la paix du futur. »
Étrange hasard : John Plummer, le pilote qui a bombardé au napalm Trang Bang, le village où vivait Kim Phuc, alors âgée de 9 ans, est présent dans la salle. «  Qui est cette femme ? demande-t-il. On lui répond – C’est Kim, la gamine de la photo. » Bouleversé, John fait passer un mot : «  Je suis cet homme, Kim. » Kim se dirige alors vers lui, bras ouverts. John éclate en sanglots : «  Je suis désolé… désolé… –  Tout va bien, j’ai pardonné, lui dit Kim ». Depuis que John a retrouvé Kim, il n’y a plus en lui de cauchemars, de hurlements. Qu’une mauvaise conscience qui fait silence.

Le pardon de Kim et de Scholastique est une dramaturgie à valeur universelle. Elle est construite sur le paradoxe de l’acceptation et du renoncement : admettre les faits tels qu’ils se sont déroulés et renoncer à se venger.

(1) La repentance n’est pas le repentir, bien que ces deux termes soient souvent employés l’un pour l’autre. La repentance est une demande de pardon solennelle, cérémonielle et collective, qui n’atteint pas directement celui qui la prononce ; le repentir est l’expression d’un regret plus individuel et intime, qui engage celui qui l’exprime.
 

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